POUR UNE POIGNÉE DE FOLLOWERS
by Ploum on 2023-07-23
https://ploum.net/2023-07-23-pour-une-poignee-de-followers.html
Pour une raison que j’ignore, mon compteur d’abonnés sur Mastodon s’est
emballé et vient de franchir le cap de 6700. Ce chiffre porte une petite
symbolique pour moi, car je ne pense pas l’avoir jamais franchi sur
Twitter.
Ploum sur Mastodon
https://mamot.fr/@ploum
Si mes souvenirs sont bons, j’ai quitté Twitter avec environ 6600
abonnés, Google+ avec 3000 abonnés, Facebook avec 2500, LinkedIn et
Medium avec 1500. Mastodon serait donc le réseau où j’ai historiquement
le plus de succès (si l’on excepte l’éphémère compte Twitter du « Blog
d’un condamné » qui avait attiré plus de 9000 personnes en quelques
jours).
Faut-il être heureux que mon compte Mastodon fasse mieux en six ans que
mon compte Twitter entre 2007 et 2021, date de sa suppression
définitive ?
Où peut-être est-ce l’occasion de rappeler que, tout comme le like, dont
j’ai précédemment détaillé l’inanité, le nombre de followers est une
métrique absurde. Fausse. Et qui devrait être cachée.
Pour l’abolition du like
https://ploum.net/pour-labolition-du-like/index.html
Où l’on sépare les comptes qui comptent de ceux qui ne comptent pas
===================================================================
Les réseaux sociaux commerciaux vous vendent littéralement l’impression
d’être suivis. Il n’y a aucun incitant à offrir un compte correct. Au
contraire, tout est fait pour exagérer, gonfler.
Vos followers sont donc composés de comptes de robots, de comptes de
sociétés qui suivent, mais ne lisent de toute façon pas les contenus, de
comptes générés automatiquement et de toute cette panoplie de comptes
inactifs, car la personne est passée à autre chose, a oublié son mot de
passe ou, tout simplement, est décédée.
Sur Mastodon, mon intuition me dit que c’est « moins pire » grâce à la
jeunesse du réseau. J’y ai déjà néanmoins vu des comptes de robots, des
comptes de personnes qui ont testé et n’utilisent plus Mastodon ainsi
que des comptes doublons, la personne ayant plusieurs comptes et me
suivant sur chacun.
Au final, il y’a beaucoup moins d’humains que le compteur ne veut bien
nous le laisser croire.
Où l’on se pose la question de l’utilité de tout cela
=====================================================
Mais même lorsqu’un compte représente un humain réel, un humain
intéressé par ce que vous postez, encore faut-il qu’il vous lise lorsque
votre contenu est noyé dans les 100, 200 ou 1000 autres comptes qu’il
suit. Ou, tout simplement, n’est-il pas sur les réseaux sociaux ce jour-
là ? Peut-être vous a-t-il vu et lu, entre deux autres messages.
Et alors ?
Je répète en anglais parce que ça donne un style plus théâtral.
So what ?
So feukinne watte ?
Vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvaient bien servir les followers ?
Tous ces autocollants vous invitant à suivre sur Facebook et Instagram
la page de votre fleuriste, de votre plombier ou de votre boulangerie ?
Sérieusement, qui s’est un jour dit en voyant un de ces autocollants
« Cool, je vais suivre mon fleuriste, mon plombier et ma boulangère sur
Facebook et Instagram » ?
Et quand bien même certains le font, certainement tonton Albert et
cousine Géraldine qui n’habitent pas la ville, mais soutiennent la
boulangère de la famille, pensez-vous que ça ait le moindre impact sur
le business ?
À l’opposé, je suis avec assiduité une centaine de blogs par RSS. Je lis
tout ce que ces personnes écrivent. Je réagis par mail. Je les partage
en privé. J’achète également tous les livres de certains de mes auteurs
favoris. Pourtant, je ne suis compté nulle part comme un follower.
Où l’on a la réponse à la question précédente
=============================================
Militant pour le logiciel libre, le respect de la vie privée et le web
non commercial, on pourrait arguer que mon public se trouve, par
essence, sur Mastodon. (et me demander pourquoi je suis resté si
longtemps sur les réseaux propriétaires. Je n’ai en effet aucune
excuse).
Prenons un cas différent.
L’écrivain Henri Lœvenbruck a fermé ses comptes Facebook (29.000
followers), Twitter (10.000 followers) et Instagram (8.000 followers).
Son dernier livre, « Les disparus de Blackmore », promu uniquement
auprès des 5000 comptes qui le suivent sur Mastodon (et un peu LinkedIn,
mais qu’est-ce qu’il fout encore là-bas ?) s’est pourtant beaucoup mieux
vendu que le précédent.
Henri Lœvenbruck sur Mastodon
https://toot.portes-imaginaire.org/@loevenbruck
Faut-il en déduire que les followers ne sont pas la recette miracle tant
louée par… les sociétés publicitaires dont le business model repose à
vouloir nous faire avoir à tout prix des followers ? D’ailleurs, entre
nous, préférez-vous passer quelques heures à vous engueuler sur Twitter
ou à flâner dans un univers typiquement Lœvenbruckien ? (Mystères
lovercraftiens, grosses motos qui pétaradent, vieux whiskies qui se
dégustent et quelques francs-maçons pour la figuration, on sent que
l’auteur de « Nous rêvions juste de liberté » s’est fait plaisir,
plaisir partagé avec les lecteurs et après on s’étonne que le bouquin se
vende)
Si Lœvenbruck a pris un risque dans sa carrière pour des raisons
éthiques et morales, force est de constater que le risque n’en était
finalement pas un. Ses comptes Facebook/Instagram/Twitter ne vendaient
pas de livres. Ce serait plutôt même le contraire.
Dans son livre "Digital Minimalism" et sur son blog, l’auteur Cal
Newport s’est fait une spécialité d’illustrer le fait que beaucoup de
succès modernes, qu’ils soient artistiques, entrepreneuriaux ou
sportifs, se construisent non pas avec les réseaux sociaux, mais en
arrivant à les mettre de côté. Une réflexion que j’ai moi-même esquissée
alors que je tentais de me déconnecter.
L’artiste déconnecté
https://ploum.net/chapitre-8-lartiste-deconnecte/index.html
La conclusion de tout cela est effrayante : nous nous sommes fait
complètement avoir. Vraiment. La quête de followers est une arnaque
totale qui, loin de nous apporter des bénéfices, nous coûte du temps, de
l’énergie mentale, parfois de l’argent voire, dans certains cas, détruit
notre business ou notre œuvre en nous forçant à modifier nos produits,
nos créations pour attirer des followers.
Où l’on se rend compte des méfaits d’un simple chiffre
======================================================
Car, pour certains créateurs, le nombre de followers est devenu une
telle obsession qu’elle emprisonne. J’ai eu des discussions avec
plusieurs personnes très influentes sur Twitter en leur demandant si
elles comptaient ouvrir un compte sur Mastodon. Dans la plupart des cas,
la réponse a été qu’elles restaient sur Twitter pour garder « leur
communauté ». Leur "communauté" ? Quel bel euphémisme pour nommer un
chiffre artificiellement gonflé qui les rend littéralement prisonnières.
Et peut-être est-ce même une opportunité manquée.
Car un réseau n’est pas l’autre. Le bien connu blogueur-à-la-retraite-
fourgeur-de-liens Sebsauvage a 4000 abonnés sur Twitter. Mais plus de
13000 sur Mastodon.
Sebsauvage sur Mastodon
https://framapiaf.org/@sebsauvage
Est-ce que cela veut dire quelque chose ? Je ne le sais pas moi-même. Je
rêve d’un Mastodon où le nombre de followers serait caché. Même de moi-
même. Surtout de moi-même.
Avant de transformer nos lecteurs en numéros, peut-être est-il bon de se
rappeler que nous sommes nous-mêmes des numéros. Que le simple fait
d’avoir un compte Twitter ou Facebook, même non utilisé, permet
d’augmenter de quelques dollars chaque année la fortune d’un Elon Musk
ou d’un Mark Zuckerberg.
En ayant un compte sur une plateforme, nous la validons implicitement.
Avoir un compte sur toutes les plateformes, comme Cory Doctorrow,
revient à un vote nul. À dire « Moi je ne préfère rien, je m’adapte ».
Si nous voulons défendre certaines valeurs, la moindre des choses n’est-
elle pas de ne pas soutenir les promoteurs des valeurs adverses ? De
supprimer les comptes des plateformes avec lesquelles nous ne sommes pas
moralement alignés ? Si nous ne sommes même pas capables de ce petit
geste, avons-nous le moindre espoir de mettre en œuvre des causes plus
importantes comme sauver la planète ?
Où l’on relativise et relativise la relativisation
==================================================
Encore faut-il avoir le choix. Je discutais récemment avec un
indépendant qui me disait que, dans son business, les clients envoient
un message Whatsapp pour lui proposer une mission. S’il met plus de
quelques dizaines de minutes à répondre, il reçoit généralement un
« c’est bon, on a trouvé quelqu’un d’autre ». Il est donc obligé d’être
sur Whatsapp en permanence. C’est peut-être vrai pour certaines
professions et certains réseaux sociaux.
Mais combien se persuadent que LinkedIn, Facebook ou Instagram sont
indispensables à leur business ? Qu’ils ne peuvent quitter Twitter sous
peine de mettre à mal leur procrastin… leur veille technologique ?
Combien d’entre nous ne font que se donner des excuses, des
justifications par simple angoisse d’avoir un jour à renoncer à ce
chiffre qui scintille, qui augment lentement, trop lentement, mais assez
pour que l’on ait envie de le consulter tous les jours, toutes les
heures, toutes les minutes.
Que sommes-nous prêts à sacrifier de notre temps, de nos valeurs, de
notre créativité simplement pour l’admirer ?
Notre nombre de followers.