40 ans de GNU
by Ploum.net (billets en français uniquement)
27 Sep '23
27 Sep '23
40 ANS DE GNU
by Ploum on 2023-09-27
https://ploum.net/2023-09-27-40ans-gnu.html
Richard Stallman ne voulait pas changer le monde. Il ne voulait pas se
battre contre les moulins à vent. Il ne voulait pas réinventer la roue.
Richard Stallman voulait simplement retrouver ses amis, sa communauté.
Pour ce jeune homme barbu et rondouillard, les relations sociales
n’avaient jamais été simples. Toujours plongé dans les livres et adorant
résoudre des casse-têtes logiques, le jeune homme avait toujours eu un
peu de mal à trouver sa place. Il avait beau adorer la compagnie, les
longues discussions et la danse, ses intérêts pour les mathématiques
semblaient toujours un peu en décalage. Son humour, surtout, était
souvent mal perçu au point de choquer ou d’effrayer. C’est au
laboratoire d’Intelligence Artificielle du MIT qu’il avait enfin eu
l’impression d’être entièrement à sa place. Les jours et les nuits
devant un écran, les doigts sur un clavier, entourés de personnes qui,
comme lui, ne cherchaient que des problèmes à résoudre. À résoudre de la
manière la plus simple, la plus élégante, la plus rigolote ou la plus
absurde. Pour l’amour de l’art, par besoin ou par simple envie de faire
une blague potache.
RMS, ainsi qu’il se présentait chaque fois que l’ordinateur lui
affichait le mot "login:", était heureux.
Mais le vent changeait. En 1976, le très jeune dirigeant d’une obscure
société vendant un compilateur BASIC s’était fendu d’une longue lettre
ouverte à la communauté des utilisateurs d’ordinateurs. Dans cette
lettre, il suppliait les amateurs d’ordinateurs d’arrêter de partager
des logiciels, de le modifier, de les copier. À la place, arguait-il, il
faut acheter les logiciels. Il faut payer les développeurs. Bref, il
faut faire la différence entre les développeurs payés et les
utilisateurs qui paient et n’ont pas le droit de comprendre comment le
programme fonctionne.
S’il l’a lue, la lettre est passée au-dessus de la tête de Richard. Ce
que produit ce jeune William Gates, dit Bill, et sa société « Micro-
Soft » ne l’intéressait pas à l’époque. Il sait bien que l’esprit
« hacker » est celui du partage, de la curiosité. Ken Thompson,
l’inventeur d’Unix, n’avait jamais caché son désir de partager toutes
ses expérimentations. Lorsque les avocats d’AT&T, son employeur, avaient
commencé à rechigner en déposant la marque UNIX puis en interdisant tout
partage, lui, Dennis Ritchie, Brian Kernighan et leurs comparses
s’étaient amusés à contourner toutes les règles. Le code source se
transmettait via des bandes « oubliées » dans un bureau voire sur les
bancs des parcs. Le code source entier d’UNIX, annoté et commenté par
John Lions pour servir de support éducatif à ses étudiants, se targuait
d’être le livre d’informatique le plus photocopié du monde malgré
l’interdiction d’en faire des copies.
Les Bill Gates et leurs armées d’avocats ne pourraient jamais venir à
bout de l’esprit hacker. Du moins, c’est ce que Richard Stallman pensait
en travaillant à sa machine virtuel LISP et à son éditeur Emacs.
Jusqu’au jour où il réalisa qu’une société, Symbolics, avait
graduellement engagé tous ses collègues. Ses amis. Chez Symbolics, ceux-
ci continuaient à travailler à une machine virtuelle LISP. Mais ils ne
pouvaient plus rien partager avec Richard. Ils étaient devenus
concurrents, un concept inimaginable pour le hacker aux cheveux en
bataille. Par bravade, celui-ci se mit alors à copier et implémenter
dans la machine LISP du MIT chaque nouvelle fonctionnalité développée
par Symbolics. À lui tout seul, il abattait le même travail que des
dizaines d’ingénieurs. Il n’avait bien entendu pas accès au code source
et devait se contenter de la documentation de Symbolics pour deviner les
principes de fonctionnement.
Le changement d’ambiance avait été graduel. Richard avait perdu ses
amis, sa communauté. Il avait été forcé, à son corps défendant, de
devenir un compétiteur plutôt qu’un collaborateur. Il ne s’en rendait
pas complètement compte. Le problème était encore flou dans sa tête
jusqu’au jour où une nouvelle imprimante fit son apparition dans les
locaux du MIT.
Il faut savoir que, à l’époque, les imprimantes faisaient la taille d’un
lit et avaient pas mal de problèmes. Sur la précédente, Richard avait
bricolé un petit système envoyant automatiquement une alerte en cas de
bourrage. Il n’avait pas réfléchi, il avait pris le code source de
l’imprimante et l’avait modifié sans se poser de questions. Mais, contre
toute attente, le code source de la nouvelle imprimante n’était pas
livré avec. Le monde de l’informatique était encore tout petit et
Richard avait une idée de qui, chez Xerox, avait pu écrire le logiciel
faisant fonctionner l’imprimante. Profitant d’un voyage, il se rendit
dans le bureau de la personne pour lui demander une copie.
La discussion fut très courte. La personne n’avait pas le droit de
partager le code source. Et si elle le partageait, Richard devait signer
un accord de non-divulgation. Il n’aurait, à son tour, pas le droit de
partager.
Pas le droit de partager ? PAS LE DROIT DE PARTAGER ?
Le partage n’est-il pas l’essence même de l’humanité ? La connaissance
ne repose-t-elle pas entièrement sur le partage intellectuel ?
Le ver glissé dans le fruit par Bill Gates commençait à faire son œuvre.
Le monde commençait à souscrire à la philosophie selon laquelle faire de
Bill Gates l’homme le plus riche du monde était une chose plus
importante que le partage de la connaissance. Que la compétition devait
nécessaire venir à bout de la collaboration. Les hackers avaient fini
par enfiler une cravate et se soumettre aux avocats.
S’il ne faisait rien, Richard ne retrouverait plus jamais ses amis, sa
communauté. Bouillonnant de colère, il décida de reconstruire, à lui
tout seul, la communauté hacker. De la fédérer autour d’un projet que
n’importe qui pourrait partager, améliorer, modifier. Que personne ne
pourrait s’approprier.
Il nomma son projet « GNU », les initiales de « GNU’s Not Unix » et
l’annonça sur le réseau Usenet le 27 septembre 1983. Il y a 40 ans
aujourd’hui.
Bon anniversaire GNU.
Après cette annonce, Richard Stallman allait se mettre à réécrire chacun
des très nombreux logiciels qui composaient le système Unix. Tout seul
au début, il créait le système GNU de toutes pièces. Son seul échec fut
le développement d’un noyau permettant de faire tourner GNU sur des
ordinateurs sans avoir besoin d’un système non-GNU. Richard percevait le
problème, car, en plus de coder, il développait la philosophie du
partage et du libre. Il inventait les fondements du copyleft.
En 1991, en s’aidant des outils GNU, dont le compilateur GCC, un jeune
Finlandais, Linus Torvalds, allait justement créer un noyau à partir de
rien. Un noyau qu’il allait mettre sous la licence copyleft inventée par
Stallman.
Mais ceci est une autre histoire…
Lectures suggérées :
====================
* Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, par Richard
Stallman, Sam Williams et Christophe Masutti
* The Daemon, the Gnu and the Penguin, par Peter H. Salus
* UNIX, A history and a Memoir, par Brian Kernighan
* Lion’s Commentary on UNIX 6th Edition with Source Code, par John Lions
Lettre ouverte aux utilisateurs d’ordinateurs, par Bill Gates
https://fr.wikipedia.org/wiki/An_Open_Letter_to_Hobbyists