PETIT MANIFESTE LOW-TECH
by Ploum on 2025-05-16
https://ploum.net/2025-05-16-manifeste-lowtech.html
Ce samedi 17 mai, je pédalerai vers Massy en compagnie de Tristan Nitot
pour parler "low-tech" et dédicacer Bikepunk lors du festival Parlons
Vélo.
Parlons Vélo Massy 2025 (parlonsvelo-massy.org)
https://parlonsvelo-massy.org/
Attention, ce qui va suivre divulgâche une partie de ce que je dirai
samedi midi à Massy. Si vous venez, arrêtez de lire ici, on se retrouve
demain !
Qu’est-ce que la low-tech ?
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Le terme low-tech nous fait intuitivement sentir une opposition contre
l’excès technologique (le "high tech") tout en évidant l’extrémisme
technophobique. Un terme qui enthousiasme, mais qu’il me semble
important d’expliciter et dont je propose la définition suivante.
> Une technologie est dite « low-tech » si les personnes interagissant
avec cette technologie savent et peuvent en comprendre son
fonctionnement.
Savoir comprendre. Pouvoir comprendre. Deux éléments essentiels (et
difficiles à distinguer pour le Belge que je suis).
Savoir comprendre
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Savoir comprendre une technologie implique d’avoir la possibilité de
construire un modèle intellectuel de son fonctionnement interne.
Il est bien évident que tout le monde n’a pas la capacité de comprendre
toutes les technologies. Mais il est possible de procéder par niveau. La
majorité des automobilistes sait qu’une voiture à essence brûle le
carburant qui explose dans un moteur, explosion qui entraine des pistons
qui font tourner les roues. Le nom est un indice en soi : un moteur à
explosion !
Si je n’en comprends pas plus sur le fonctionnement d’un moteur, j’ai la
certitude qu’il existe des personnes qui comprennent mieux, souvent dans
mon entourage direct. Au plus la compréhension est fine, au plus les
personnes deviennent rares, mais chacun peut tenter de s’améliorer.
La technologie est simple sans être simpliste. Cela signifie que sa
complexité peut être appréhendée graduellement. Et qu’il existe des
experts qui appréhendent une technologie particulière dans sa globalité.
Par opposition, il est aujourd’hui humainement impossible de comprendre
un smartphone moderne. Seuls quelques expert·e·s dans le monde
maitrisent chacun·e un point particulier de l’objet : du dessin de
l’antenne 5G au logiciel retouchant automatiquement les photos en
passant par le chargement rapide de la batterie. Et aucun d’entre eux ne
maitrise la conception d’un compilateur nécessaire à faire tourner le
tout. Même un génie passant sa vie à démonter des smartphones serait
dans l’incapacité totale de comprendre ce qui se passe à l’intérieur
d’un engin que nous avons tous en permanence soit dans une poche, soit
devant notre nez !
L’immense majorité des utilisateurs de smartphones n’ont pas le moindre
modèle mental de son fonctionnement. Je ne parle pas d’un modèle erroné
ou simpliste : non, il n’y en a pas du tout. L’objet est « magique ».
Pourquoi affiche-t-il quelque chose plutôt qu’un autre ? Parce que c’est
« magique ». Et comme pour la magie, il ne faut pas chercher à
comprendre.
La low-tech peut être extrêmement complexe, mais l’existence même de
cette complexité doit être compréhensible et justifiée. Une complexité
transparente encourage naturellement les esprits curieux à se poser des
questions.
Le temps de comprendre
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Comprendre une technologie prend du temps. Cela implique une relation
longue, une expérience qui se crée tout au long d’une vie, qui se
partage, qui se transmet.
Par opposition, la high-tech impose un renouvellement, une mise à jour
constante, des changements d’interface et de fonctionnalité permanents
qui renforcent l’aspect « magique » et entraine le découragement de
celleux qui tentent de se construire un modèle mental.
La low-tech doit donc nécessairement être durable. Pérenne. Elle doit
s’enseigner et permettre une construction progressive de cet
enseignement.
Cela implique parfois des efforts, des difficultés. Tout ne peut pas
toujours être progressif : à un moment, il faut se lancer sur son vélo
pour apprendre à garder l’équilibre.
Pouvoir comprendre
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Historiquement, il semble évident que toute technologie a la possibilité
d’être comprise. Les personnes interagissant avec la technologie étaient
forcées de réparer, d’adapter et donc de comprendre. Une technologie
était essentiellement matérielle, ce qui implique qu’elle pouvait être
démontée.
Avec le logiciel apparait un nouveau concept : celui de cacher le
fonctionnement. Et si, historiquement, tout logiciel est open source,
l’invention du logiciel propriétaire rend difficile, voire impossible,
de comprendre une technologie.
L’histoire du logiciel : entre collaboration et confiscation des
libertés (ploum.net)
https://ploum.net/lhistoire-du-logiciel-entre-collaboration-et-confiscation…
Le logiciel propriétaire n’a pu être inventé que grâce à la création
d’un concept récent, au demeurant absurde, appelé « propriété
intellectuelle ».
Cette propriété intellectuelle ayant permis la privatisation de la
connaissance dans le logiciel, elle est ensuite étendue au monde
matériel. Soudainement, il devient possible d’interdire à une personne
de tenter de comprendre la technologie qu’elle utilise au quotidien.
Grâce à la propriété intellectuelle, des fermiers se voient soudain
interdits d’ouvrir le capot de leur propre tracteur.
La low-tech doit être ouverte. Elle doit pouvoir être réparée, modifiée,
améliorée et partagée.
De l’utilisateur au consommateur
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Grâce à la complexification, aux changements incessants et à
l’imposition d’un régime strict de « propriété intellectuelle », les
utilisateurs ont été transformés en consommateurs.
Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas une évolution inéluctable de la
nature. Il s’agit d’un choix conscient. Toutes les écoles de commerce
enseignent aux futurs entrepreneurs à se construire un marché captif, à
priver autant que possible leur client de liberté, à construire ce qu’on
appelle dans le jargon une "moat" (douve qui protège un château) afin
d’augmenter la « rétention des utilisateurs ».
Les termes eux-mêmes deviennent flous pour renforcer ce sentiment de
magie. On ne parle par exemple plus de transférer un fichier .jpg vers
un ordinateur distant, mais de « sauvegarder ses souvenirs dans le
cloud ».
Les marketeux nous ont fait croire qu’en supprimant les mots compliqués,
ils simplifieraient la technologie. C’est évidemment le contraire.
L’apparence de simplicité est une complexité supplémentaire qui
emprisonne l’utilisateur. Toute technologie nécessite un apprentissage.
Cet apprentissage doit être encouragé.
Pour une approche et une éthique low-tech
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L’éthique low-tech consiste à se remettre au service de l’utilisateur en
lui facilitant la compréhension de ses outils.
La high-tech n’est pas de la magie, c’est de la prestidigitation. Plutôt
que de cacher les « trucs » sous des artifices, la low-tech cherche à
montrer et à créer une utilisation en consciente de la technologie.
Cela n’implique pas nécessairement une simplification à outrance.
Prenons l’exemple d’une machine à laver le linge. Nous comprenons tous
qu’une machine de base est un tambour qui tourne dans lequel est injecté
de l’eau et du savon. C’est très simple et low-tech.
On pourrait arguer que l’ajout de capteurs et de contrôleurs
électroniques permet de laver le linge plus efficacement et plus
écologiquement en le pesant et adaptant la vitesse de rotation en
fonction du type de linge.
Dans une optique low-tech, un boitier électronique est ajouté à la
machine pour faire exactement cela. Si le boitier est retiré ou tombe en
panne, la machine continue à fonctionner simplement. L’utilisateur peut
choisir de débrancher le boitier ou de le remplacer. Il en comprend
l’utilité et la justification. Il construit un modèle mental dans lequel
le boitier ne fait qu’appuyer sur les boutons de réglage au bon moment.
Et, surtout, il ne doit pas envoyer toute la machine à la casse parce
que la puce wifi ne fonctionne plus et n’est plus mis à jour ce qui a
bloqué le firmware (quoi ? Ma machine à laver dispose d’une puce
wifi ?).
Pour une communauté low-tech
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Une technologie low-tech encourage et donne l’occasion à l’utilisateur à
la comprendre, à se l’approprier. Elle tente de rester stable dans le
temps, se standardise. Elle ne cherche pas à cacher la complexité
intrinsèque partant du principe que la simplicité provient de la
transparence.
Cette compréhension, cette appropriation ne peut se faire dans
l’interaction. Une technologie low-tech va donc, par essence, favoriser
la création de communautés et les échanges humains autour de cette même
technologie.
Pour contribuer à l’humanité et aux communautés, une technologie low-
tech se doit d’appartenir à tou·te·s, de faire partie des communs.
J’en arrive donc à cette définition, complémentaire et équivalente à la
première :
> Une technologie est dite « low-tech » si elle expose sa complexité de
manière simple, ouverte, transparente et durable tout en appartenant aux
communs.
Photo par Thomas Claveirole
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gears_-_Thomas_Claveirole.jpg
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Comment l’université tue le livre (et les intellectuels)
by Ploum.net (billets en français uniquement) 14 May '25
by Ploum.net (billets en français uniquement) 14 May '25
14 May '25
COMMENT L’UNIVERSITÉ TUE LE LIVRE (ET LES INTELLECTUELS)
by Ploum on 2025-05-14
https://ploum.net/2025-05-14-sauvons-la-biblio-de-lln.html
Il faut sauver la bibliothèque de Louvain-la-Neuve
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Menacée d’expulsion par l’université, la bibliothèque publique de
Louvain-la-Neuve risque de disparaître. Il est urgent de signer la
pétition pour tenter de la sauver.
Signez la pétition pour sauver la bibliothèque de Louvain-la-Neuve !
https://www.petitionenligne.be/lavenir_de_la_bibliotheque_publique_de_lln_e…
Mais ce n’est pas un événement isolé, ce n’est pas un accident. Il ne
s’agit que d’une escarmouche dans la longue guerre que la ville,
l’université et la société de consommation mènent contre les livres et,
à travers eux, contre l’intellectualisme.
Le livre, outil indispensable de l’intellectuel
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L’une des tâches que je demande chaque année à mes étudiants avant
l’examen est de lire un livre. Si possible de fiction ou un essai, mais
un livre non technique.
Au choix.
Bien sûr, je donne des idées en rapport avec mon cours. Notamment
« Little Brother » de Cory Doctorow qui est facile à lire, prenant, et
tout à fait dans le sujet. Mais les étudiants sont libres.
Chaque année, plusieurs étudiants me glissent lors de l’examen qu’ils
n’avaient plus lu un livre depuis l’école secondaire, mais que, en fait,
c’était vraiment chouette et que ça fait vraiment réfléchir. Que sans
moi, ils auraient fait toutes leurs études d’ingénieur sans lire un seul
livre autre que des manuels.
Les livres, qui forcent une lecture sur un temps long, qui forcent une
immersion, sont l’outil indispensable de l’intellectuel et de
l’humaniste. Il est impossible de réfléchir sans livre. Il est
impossible de prendre du recul, de faire de nouveaux liens et d’innover
sans être baigné dans la diversité d’époques, de lieux et d’expériences
humaines que sont les livres. On peut surnager pendant des années dans
un domaine voire devenir compétent sans lire. Mais la compréhension
profonde, l’expertise nécessite des livres.
Ceux qui ne lisent pas de livres sont condamnés à se satisfaire de
superficialité, à se laisser manipuler, à obéir aveuglément. Et c’est
peut-être ça l’objectif.
J’estime que l’université ne doit pas former de bons petits consultants
obéissants et employables, mais des intellectuels humanistes. La mission
première de l’université passe par la diffusion, la promotion,
l’appropriation de la culture intellectuelle du livre.
Et si on arrêtait d’être de bons petits consultants obéissants ?
(ploum.net)
https://ploum.net/2025-01-29-bon_consultant.html
Entre l’humanisme et le profit immobilier, l’université a choisi
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Mais, à Louvain-la-Neuve, l’université semble se transformer en simple
agence immobilière. La ville qui, en 50 ans, s’est créée autour de
l’université est en train de se transformer pour n’offrir graduellement
plus que deux choses : de la bouffe et des fringues.
Il faut agrandir le centre commercial ! (ploum.net)
https://ploum.net/il-faut-agrandir-le-centre-commercial/index.html
En 2021, le bouquiniste de la place des Wallons, présent depuis 40 ans
grâce à un bail historique, a vu son propriétaire, l’université, lui
infliger une augmentation de loyer vertigineuse. Je l’ai vu, les yeux
pleins de larmes, mettant en caisse les milliers de bandes dessinées de
son stock afin de laisser la place à… un vendeur de gauffres !
Les monopoles du livre, les alternatives et le futur (ploum.net)
https://ploum.net/les-monopoles-du-livre-les-alternatives-et-le-futur/index…
Ce fut ensuite le tour du second bouquiniste de la ville, une minuscule
échoppe aux murs noircis de livres de philosophie où nous nous
retrouvions régulièrement entre habitués pour nous disputer quelques
pièces rares. Le couple qui tenait la bouquinerie m’a confié que, devant
le prix du loyer, également versé à l’université, il était plus rentable
pour eux de devenir bouquinistes itinérants. « Ça ne va pas vous
plaire ! » m’a confié la gérante lorsque j’ai demandé qui reprendrait
son espace. Quelques semaines plus tard, en effet, surgissait une
vitrine vendant des sacs à mains !
Quant à la librairie principale de la ville, l’historique librairie
Agora, elle fut rachetée par le groupe Furet du Nord dont la section
belge a fait faillite. Il faut dire que la librairie occupait un énorme
espace appartenant en partie au promoteur immobilier Klépierre et à
l’université. D’après mes sources, le loyer mensuel s’élevait à…
35.000€ !
De cette faillite, j’ai récupéré plusieurs meubles bibliothèques qui
étaient à donner. L’ouvrier qui était en train de nettoyer le magasin me
souffla, avec un air goguenard, que les étudiants allaient être contents
du changement ! Il n’avait pas le droit de me dire ce qui remplacerait
la librairie, mais, promis, ils allaient être contents.
En effet, il s’agissait d’un projet de… Luna Park ! (qui, bien que
terminé, n’a pas obtenu l’autorisation d’ouvrir ses portes suite aux
craintes des riverains concernant le tapage qu’un tel lieu engendre)
Mais l’université ne comptait pas en rester là. Désireuse de récupérer
des locaux pourtant sans aucun potentiel commercial, elle a également
mis dehors le centre de livres d’occasion Cerfaux Lefort. Une pétition
pour tenter de le sauver a récolté 3000 signatures. Sans succès.
Le Centre Cerfaux-Lefort a fermé ses portes à LLN, au grand désarroi du
collectif et des étudiants qui militaient pour son maintien
(www.rtbf.be)
https://www.rtbf.be/article/le-centre-cerfaux-lefort-a-ferme-ses-portes-a-l…
Puisque ça fonctionne, enfonçons le clou !
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Pendant quelques mois, Louvain-la-Neuve, ville universitaire et
intellectuelle, s’est retrouvée sans librairie ! Consciente que ça
faisait désordre, l’université a offert des conditions correctes à une
équipe motivée pour créer la librairie « La Page d’Après » dans une
petite surface. La libraire est petite et, par conséquent, doit faire
des choix (la littérature de genre, mon domaine de prédilection, occupe
moins d’une demi-table).
Je me suis évidemment enthousiasmé pour le projet de la Page d’Après,
dont je suis immédiatement devenu un fidèle. Je n’avais pas imaginé
l’esprit retors du promoteur immobilier qu’est devenue l’université : le
soutien à la Page d’Après (qui n’est que très relatif, la surface n’est
pas offerte non plus) est devenu l’excuse à la moindre critique !
Car c’est aujourd’hui la bibliothèque publique de Louvain-la-Neuve elle-
même qui est menacée à très court terme. La partie ludothèque et livres
jeunesse est d’ores et déjà condamnée pour laisser la place à une
extension du restaurant universitaire. Le reste de la bibliothèque est
sur la sellette. L’université estime en effet qu’elle pourrait tirer
100.000€ par an de loyer et qu’elle n’a aucune raison d’offrir 100.000€
à une institution qui ne pourrait évidemment pas payer une telle somme.
Précisons plutôt que l’université ne voit plus d’intérêt à cette
bibliothèque qu’elle a pourtant désirée ardemment et qu’elle n’a obtenue
que grâce à une convention signée en 1988, à l’époque où Louvain-la-
Neuve n’était encore qu’un jeune assemblage d’auditoires et de logements
étudiants.
À la remarque « Pouvez-vous imaginer une ville universitaire sans
bibliothèque ? » posée par de multiples citoyens, la réponse de certains
décideurs est sans ambiguïté : « Nous avons la Page d’Après ». Comme si
c’était pareil. Comme si c’était suffisant. Mais, comme le glissent
parfois à demi-mot certains politiques qui n’ont pas peur d’étaler leur
déficience intellectuelle : « Le livre, c’est mort, l’avenir c’est l’IA.
Et puis, si nécessaire, il y a Amazon ».
L’université propose à la bibliothèque de garder une fraction de
l’espace actuel à la condition que les travaux d’aménagement soient pris
en charge… par la bibliothèque publique elle-même (le résultat restant
propriété de l’université). De bibliothèque, la section de Louvain-la-
Neuve se transformerait en "antenne" avec un stock très faible et où
l’on pourrait se procurer les livres commandés.
Mais c’est complètement se méprendre sur le rôle d’une bibliothèque. Un
lieu où l’on peut flâner et faire des découvertes littéraires
improbables, découvertes d’ailleurs encouragées par les initiatives du
personnel (mise en évidence de titres méconnus, tirage aléatoire d’une
suggestion de lecture …). Dans la bibliothèque de Louvain-la-Neuve, j’ai
croisé des bénévoles aidant des immigrés adultes à se choisir des livres
pour enfant afin d’apprendre le français. J’ai vu mon fils se mettre à
lire spontanément les journaux quotidiens offerts à la lecture.
Une bibliothèque n’est pas un point d’enlèvement ou un commerce, une
bibliothèque est un lieu de vie !
La bibliothèque doit subsister. Il faut la sauver. (et signer la
pétition si ce n’est pas encore fait)
Signez la pétition pour sauver la bibliothèque de Louvain-la-Neuve !
https://www.petitionenligne.be/lavenir_de_la_bibliotheque_publique_de_lln_e…
La disparition progressive de tout un secteur
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Loin de se faire de la concurrence, les différents acteurs du libre se
renforcent, s’entraident. Les meilleurs clients de l’un sont souvent les
meilleurs clients de l’autre. Un achat d’un côté entraine, par ricochet,
un achat de l’autre. La bibliothèque publique de Louvain-la-Neuve est le
plus gros client du fournisseur de BD Slumberland (ou le second après
moi, me siffle mon portefeuille). L’université pourrait faire le choix
de participer à cet écosystème.
Slumberland, lieu mythique vers lequel se tournent mes cinq prières
quotidiennes, occupe un espace Klépierre. Car, à Louvain-la-Neuve, tout
appartient soit à l’université, soit au groupe Klépierre, propriétaire
du centre commercial. Le bail de Slumberland arrivant à expiration, ils
viennent de se voir notifier une augmentation soudaine de plus de 30% !
15.000€ par mois. En étant ouvert 60h par semaine (ce qui est énorme
pour un magasin), cela signifie plus d’un euro par minute d’ouverture.
Rien que pour payer son loyer, Slumberland doit vendre une bande
dessinée toutes les 5 minutes ! À ce tarif-là, mes (nombreux et
récurrents) achats ne remboursent même pas le temps que je passe à
flâner dans le magasin !
Ces loyers m’interpellent : comment un magasin de loques criardes
produites par des enfants dans des caves en Asie peut-il gagner de quoi
payer de telles sommes là où les meilleurs fournisseurs de livres
peinent à joindre les deux bouts ? Comment se fait-il que l’épicerie de
mon quartier, présente depuis 22 ans, favorisant les produits bio et
locaux, remplie tous les jours à ras bord de clients, doive brusquement
mettre la clé sous le paillasson ? Comme aux États-Unis, où on ne dit
pas « boire un café », mais « prendre un Starbucks », il ne nous restera
bientôt que les grandes chaînes.
La terrifiante hégémonie des monopoles (ploum.net)
https://ploum.net/la-terrifiante-hegemonie-des-monopoles/index.html
Face à l’hégémonie de ces monopoles, je croyais que l’université était
un soutien. Mais force est de constater que le modèle est plutôt celui
de Monaco : le seul pays du monde qui ne dispose pas d’une seule
librairie !
Quelle société les universitaires sont-ils en train de construire ?
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Je vous rassure, Slumberland survivra encore un peu à Louvain-la-Neuve.
Le magasin a trouvé une surface moins chère (car moins bien exposée) et
va déménager. Son nouveau propriétaire ? L’université bien sûr !
Derniers bastions livresques de la ville qui fût, un jour, une utopie
intellectuelle et humaniste, Slumberland et La Page d’Après auront le
droit de subsister jusqu’au jour où les gestionnaires immobiliers qui se
prétendent intellectuels décideront que ce serait plus rentable de
vendre un peu plus de gaufres, un peu plus de sacs à main ou d’abrutir
un peu plus les étudiants avec un Luna Park.
L’université est devenue un business. Le verdict commercial est sans
appel : la production de débiles formatés à la consommation
instagrammable rapporte plus que la formation d’intellectuels.
Mais ce n’est pas une fatalité.
L’avenir est ce que nous déciderons d’en faire. L’université n’est pas
forcée de devenir un simple gestionnaire immobilier. Nous sommes
l’université, nous pouvons la transformer.
J’invite tous les membres du personnel de l’université, les
professeur·e·s, les étudiant·e·s, les lecteurices, les intellectuel·le·s
et les humanistes à agir, à parler autour d’eux, à défendre les livres
en les diffusant, en les prêtant, en encourageant leur lecture, en les
conseillant, en diffusant leurs opinions, en ouvrant les débats sur la
place des intellectuels dans la ville.
Pour préserver le savoir et la culture, pour sauvegarder l’humanisme et
l’intelligence de l’absurde marchandisation à court terme, nous avons le
devoir de communiquer, de partager sans restriction, de faire entendre
notre voix de toutes les manières imaginables.
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POUR UNE POIGNÉE DE BITS…
by Ploum on 2025-05-12
https://ploum.net/2025-05-12-pour-une-poignee-de-bits.html
Toute l’infrastructure gigantesque d’Internet, tous ces milliers de
câbles sous-marins, ces milliards de serveurs clignotants ne servent aux
humains qu’à échanger des séries de bits.
Nos téléphones produisent des bits qui sont envoyés, dupliqués, stockés
et, parfois, arrivent sur d’autres téléphones. Souvent, ces bits ne sont
utiles que pour quelques secondes à peine. Parfois, ils ne le sont pas
du tout.
Nous produisons trop de bits pour être capables de les consommer ou pour
tout simplement en avoir envie.
Or, toute la promesse de l’IA, c’est d’automatiser cette génération de
bits en faisant deux choses : enregistrer les séquences de bits
existantes pour les analyser puis reproduire des séquences de bits
nouvelles, mais « ressemblantes ».
L’IA, les LLMs, ce ne sont que ça : des générateurs de bits.
Enregistrer les séquences de bits
=================================
Tous les producteurs d’IA doivent donc d’abord enregistrer autant de
séquences de bits existantes que possible. Pour cette raison, le Web est
en train de subir une attaque massive. Ces fournisseurs de créateurs de
bits pompent agressivement toutes les données qui passent à leur portée.
En continu. Ce qui met à mal toute l’infrastructure du web.
Mais comment arrivent-ils à faire cela ? Et bien une partie de la
solution serait que ce soit votre téléphone qui le fasse. La société
Infatica, mais en effet à disposition des développeurs d’app Android et
iPhone des morceaux de code à intégrer dans leurs apps contre paiement.
Ce que fait ce code ? Tout simplement, à chaque fois que vous utilisez
l’app, il donne l’accès à votre bande passante à des clients. Clients
qui peuvent donc faire les requêtes de leur choix comme pomper autant de
sites que possible. Cela, sans que l’utilisateur du téléphone en soi
informé le moins du monde.
Botnet Part 2: The Web is Broken (jan.wildeboer.net)
https://jan.wildeboer.net/2025/04/Web-is-Broken-Botnet-Part-2/
Cela rend l’attaque impossible à bloquer efficacement, car les requêtes
proviennent de n’importe où, n’importe quand.
Tout comme le spam, l’activité d’un virus informatique se fait désormais
à visage découvert, avec de vraies sociétés qui vendent leurs
« services ». Et les geeks sont trop naïfs : ils cherchent des logiciels
malveillants qui exploitent des failles de sécurité compliquées alors
que tout se fait de manière transparente, à ciel ouvert, mais avec ce
qu’on appelle la "plausible deniability" grâce à des couches de services
commerciaux. Il y a même des sites avec des reviews et des étoiles pour
choisir son meilleur réseau de botnets pseudolégal.
The candid naivety of geeks (ploum.net)
https://ploum.net/2025-03-28-geeks-naivety.html
Le développeur de l’app Android dira que « il ne savait pas que son app
serait utilisée pour faire des choses néfastes ». Les fournisseurs de ce
code et revendeurs diront « on voulait surtout aider la recherche
scientifique et le développeur est censé prévenir l’utilisateur ». Le
client final, qui lance ces attaques pour entrainer ses générateurs de
bits dira « je n’ai fait qu’utiliser un service commercial ».
En fait, c’est même pire que cela : comme je l’ai démontré lorsque j’ai
détecté la présence d’un tracker Facebook dans l’application officielle
de l’institut royal de météorologie belge, il est probable que le maître
d’œuvre de l’application n’en sache lui-même rien, car il aura utilisé
un sous-traitant pour développer l’app. Et le sous-traitant aura lui-
même créé l’app en question sur base d’un modèle existant (un template).
L’article où j’explique mon interaction avec l’IRM (ploum.net)
https://ploum.net/2023-04-03-petits-gestes.html
Grâce à ces myriades de couches, personne ne sait rien. Personne n’est
responsable de rien. Et le web est en train de s’effondrer. Allégorie
virtuelle du reste de la société.
Générer des séquences de bits
=============================
Une fois qu’on a enregistré assez de séquences de bits, on va tenter d’y
trouver une logique pour générer des séquences nouvelles, mais
« ressemblantes ». Techniquement, ce qui est très impressionnant avec
les ChatGPT et consorts, c’est l’échelle à laquelle est fait ce que les
chercheurs en informatique font depuis vingt ans.
Mais si ça doit être « ressemblant », ça ne peut pas l’être trop ! En
effet, cela fait des décennies que l’on nous rabâche les oreilles avec
le "plagiat", avec le "vol de propriété intellectuelle". Houlala,
"pirater", c’est mal.
Eh bien non, allez-y ! Piratez mes livres ! D’ailleurs, ils sont faits
pour, ils sont sous licence libre. Parce que j’ai envie d’être lu. C’est
pour ça que j’écris. Je ne connais aucun artiste qui a augmenté la
taille de son public en "protégeant sa propriété intellectuelle".
Have you ever considered piracy?
https://ploum.net/files/piracy.png
Parait que c’est mal de pirater.
Sauf quand ce sont les IA qui le font. Ce que montre très bien Otakar G.
Hubschmann dans une expérience édifiante. Il demande à ChatGPT de
générer des images de « superhéros qui utilise des toiles d’araignées
pour se déplacer », d’un « jeune sorcier qui va à l’école avec ses
amis » ou un « plombier italien avec une casquette rouge ».
Et l’IA refuse. Parce que ce serait enfreindre un copyright. Désolé donc
à tous les plombiers italiens qui voudraient mettre une casquette
rouge : vous êtes la propriété intellectuelle de Nintendo.
Mais là où c’est encore plus hallucinant, c’est lorsqu’il s’éloigne des
toutes grandes franchises actuelles. S’il demande « photo d’une femme
combattant un alien », il obtient… une image de Sigourney Weaver. Une
image d’un aventurier archéologue qui porte un chapeau et utilise un
fouet ? Il obtient une photo d’Harrisson Ford.
Comme je vous disais : une simple série de bits ressemblant à une autre.
An image of an archeologist adventurer who wears a hat and uses a
bullwhip (theaiunderwriter.substack.com)
https://theaiunderwriter.substack.com/p/an-image-of-an-archeologist-adventu…
Ce qui nous apprend à quel point les IA n’ont aucune, mais alors là
aucune originalité. Mais, surtout, que le copyright est véritablement un
outil de censure qui ne sert que les très très grands. Grâce aux IA, il
est désormais impossible d’illustrer voire d’imaginer un enfant sorcier
allant à l’école parce que c’est du plagiat d’Harry Potter (lui-même
étant, selon moi, un plagiat d’un roman d’Anthony Horowitz, mais
passons…).
Comme le dit Irénée Régnauld, il s’agit de pousser un usage normatif des
technologies à un point très effrayant.
Faut-il empêcher les " mésusages " des technologies ? (maisouvaleweb.fr)
https://maisouvaleweb.fr/faut-il-empecher-les-mesusages-des-technologies/
Mais pour protéger ces franchises et ce copyright, les mêmes IA
n’hésitent pas à se servir dans les bases de données pirates et à foutre
en l’air tous les petits services d’hébergement.
Les humains derrière les bits
=============================
Mais le pire c’est que c’est tellement à la mode de dire qu’on a généré
ses bits automatiquement que, souvent, on le fait faire par des humains
camouflés en générateurs automatiques. Comme cette app de shopping "AI"
qui n’était, en réalité, que des travailleurs philippins sous-payés.
Fintech founder charged with fraud after 'AI' shopping app found to be
powered by humans in the Philippines (techcrunch.com)
https://techcrunch.com/2025/04/10/fintech-founder-charged-with-fraud-after-…
Les luddites l’avaient compris, Charlie Chaplin l’avait illustré dans
« Les temps modernes », Arnold Schwarzeneger a essayé de nous avertir :
nous servons les machines que nous croyons avoir conçu pour nous servir.
Nous sommes esclaves de générateurs de bits.
Pour l’amour des bits !
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Dans le point presse de ma ville, j’ai découvert qu’il n’y avait qu’un
magasin en présentoir consacré à Linux, mais pas moins de 5 magazines
consacrés entièrement aux générateurs de bits. Avec des couvertures du
genre « Mieux utiliser ChatGPT ». Comme si on pouvait l’utiliser
« mieux ». Et comme si le contenu de ces magazines n’était lui-même pas
généré.
C’est tellement fatigant que j’ai pris la résolution de ne plus lire les
articles parlant de ces générateurs de bits, même s’ils ont l’air
intéressants. Je vais essayer de lire moins sur le sujet, d’en parler
moins. Après tout, je pense que j’ai dit tout ce que j’avais à dire dans
ces deux billets :
Une bulle d’intelligence artificielle et de stupidité naturelle
(ploum.net)
https://ploum.net/2024-04-04-la-bulle-ai.html
La fin d’un monde ? (ploum.net)
https://ploum.net/2025-04-08-la-fin.html
Vous êtes déjà assez assaillis par les générateurs de bits et par les
bits qui parlent des générateurs de bits. Je vais tenter de ne pas trop
en rajouter et revenir à mon métier d’artisan. Chaque série de bits que
je vous offre est entièrement façonnée à la main, d’un humain vers un
autre. C’est plus cher, plus rare, plus long à lire, mais, je l’espère,
autrement plus qualitatif.
Vous sentez l’amour de l’art et la passion derrière ces bits dont chacun
à une signification profonde et une utilité réelle ? C’est pour les
transmettre, les partager que je cherche à préserver notre
infrastructure et nos cerveaux.
Bonnes lectures et bons échanges entre humains !
L’image d’illustration a été conçue pour corrompre l’apprentissage des
aspirateurs de données.
gemini://tilde.club/~gedankenstuecke/blog/2025-04-01-algorithmic-sabotage-ii.gmi
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