LA FABRIQUE À SOUVENIRS
by Ploum on 2023-10-30
https://ploum.net/2023-10-30-fabrique-a-souvenirs.html
Extrait de mon journal du 21 octobre 2023.
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Photo prise au bord de la Meuse, début août 2023, d’une affiche pour le
« Festival du folklore » à Namur et Jambes. Sur l’affiche, des
personnes, toutes habillées de différents costumes traditionnels, se
regroupent pour prendre un selfie.
https://ploum.net/files/festival_folklore.jpg
Les photos étaient une manière de garder la trace d’un événement. C’en
est désormais devenu l’objectif premier. Plutôt que de nous souvenir de
ce que nous avons vécu, nous créons de toutes pièces des faux souvenirs,
de fausses memorabilia afin de tromper notre futur moi.
Nous souffrons une journée entière à faire la file dans un Disneyland
bondé afin de pouvoir, dans cinq ou dix ans, prétendre que nos sourires
étaient sincères, que notre amusement était réel.
D’ailleurs, cela nous sera confirmé par tous ceux qui ont reçu nos
photos dans les heures, parfois les secondes après la prise de vue. Nos
followers sont les faux témoins que nous achetons, que nous corrompons
afin de nous inventer des souvenirs.
POURQUOI J’AI SUPPRIMÉ MON COMPTE TWITTER (ET POURQUOI VOUS POUVEZ
PROBABLEMENT EN FAIRE AUTANT SANS HÉSITER)
by Ploum on 2023-10-29
https://ploum.net/2023-10-29-le-droit-de-supprimer-twitter.html
Je suis complètement addict aux réseaux sociaux. Je suis complètement
obnubilé par mon image sur ceux-ci. Pendant des années, dès qu’une
nouvelle plateforme apparaissait, j’y créais un compte "@ploum" histoire
de « garder le contrôle » sur mon pseudonyme. Je tenais les comptes de
mes followers sur chacune. Je me présentais comme « @ploum » dans le
premier slide de mes conférences.
Il y a déjà un an, Elon Musk prenait les rênes de Twitter, le renommait
en « X-anciennement-Twitter » et le transformait, d’après les
témoignages que j’en ai, en une soupe nauséabonde. Je dis « d’après les
témoignages » parce qu’à l’époque, cela faisait justement un an que
j’avais supprimé mon compte.
Si j’ai supprimé mon compte, avant même l’arrivée d’Elon Musk, il y’a
des chances que vous puissiez supprimer le vôtre également. Et peut-être
pas seulement sur Twitter.
Je parle bien de le supprimer, pas de ne « plus l’utiliser » ou « le
mettre en sommeil ». Je suis passé par là également et cela n’a rien à
voir. C’est comme les personnes, dont la télé trône au milieu du salon,
mais qui disent ne pas la regarder. Ou rarement. Enfin… pas trop
souvent. Enfin, juste quand on s’ennuie. Ou quand il y’a un truc
intéressant… Et puis aussi pour avoir une présence.
En supprimant mon compte, j’ai retiré un utilisateur de la plateforme et
fait baisser sa valeur.J’ai supprimé toute possibilité de me contacter
sur ces plateformes, possibilité qui faisait que, même si je n’utilisais
plus un service, je m’y connectais une fois par mois pour répondre aux
messages qui arrivaient forcément là-bas, car, si compte il y a, il
y’aura toujours quelqu’un pour l’utiliser.
En supprimant mon compte, je suis devenu injoignable sur cette
plateforme. Ce qui rend la plateforme un tout petit peu moins attractive
pour mon entourage et ceux qui me suivent. Ce qui fait que la plateforme
ne pourra pas montrer mon nom dans la liste de contacts lorsqu’une
personne qui a mon numéro de téléphone s’inscrira pour la première fois.
J’ai également supprimé un follower de tous ces créateurs que j’aime,
mais qui sont, comme moi, un peu trop addicts aux likes.
Bref, en supprimant mon compte Twitter, j’ai rendu le monde un poil
meilleur.
Oui, mais si on veut te contacter via cette plateforme
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Si on veut me contacter, supprimer mon compte est la meilleure des
choses. Parce que personne ne tentera de me contacter sur une plateforme
où je ne suis pas. Personne ne pensera que j’ai reçu le message.
Comme je l’expliquais, les réseaux sociaux publicitaires ne nous mettent
pas en relation, ils nous vendent l’illusion d’être en relation. En
faisant parfois exactement le contraire.
Facebook m’a rendu injoignable
https://ploum.net/facebook-ma-rendu-injoignable/index.html
Pour le cas d’un groupe particulier utilisant une plateforme, c’est
souvent difficile d’être le premier à quitter. J’ai souvent eu
l’impression de m’exclure des groupes qui n’étaient pas techniques (les
différents sports que je pratique dans mon cas). J’ai signalé à
plusieurs personnes que je ne recevais pas les infos. J’ai rappelé que
je n’étais pas sur la plateforme utilisée, Facebook, Twitter ou
Whatsapp. J’ai demandé à certains de me faire suivre les messages.
Cela a été difficile jusqu’au moment où une deuxième personne s’est
révélée ne pas être non plus sur la plateforme. Soit qu’elle l’ait
quittée, soit qu’elle ne l’ait jamais été. À partir de ce moment-là, les
membres du groupe prennent conscience que la plateforme n’est plus
représentative du groupe. Et l’intérêt pour la plateforme diminue pour
disparaitre totalement avec la troisième personne qui n’y est pas non
plus.
Être le premier est difficile et pas toujours possible dans un groupe.
Mais si vous ne savez pas être le premier, soutenez toute autre
tentative et soyez le second.
Oui, mais on peut usurper ton identité.
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Sur Twitter, je disposais d’un compte vérifié (et ce depuis plusieurs
années, à une époque où c’était encore rare et une source de frime), un
compte créé en 2007 avec presque 7000 followers. J’y étais attaché. J’en
étais fier même si avoir un nombre de followers à 4 chiffres est un peu
la gêne chez les influenceurs de la nouvelle génération.
Avant de supprimer mon compte, je l’ai annoncé. À tous les messages qui
arrivaient pendant une semaine ou quelques jours, j’ai répondu que ce
compte allait être supprimé. Je l’ai également annoncé sur mon site et
sur Mastodon.
Il est important de rappeler qu’à la suppression d’un compte Twitter, le
pseudo est bloqué pendant un an. Pendant un an, personne ne peut
l’utiliser.
Un an plus tard, quelqu’un pourrait en effet utiliser votre identifiant.
C’est arrivé avec @ploum, un an jour pour jour après la suppression du
compte. Le nouveau compte @ploum n’a rien à voir avec moi et ne peut en
aucun cas être confondu avec moi.
Oui, ma petite notoriété m’a déjà fait subir des attaques voire du
harcèlement. Oui, j’ai déjà vu des faux ploum se faire passer pour moi,
ce qui a motivé d’ailleurs à l’époque ma vérification par Twitter.
Pourtant, la probabilité que l’identifiant soit réutilisé par une
personne qui me connait et est motivée pour me nuire était tout de même
très faible. Parce que, honnêtement, tout le monde s’en fout de mon
compte Twitter. Surtout quand il faut attendre un an après sa
disparition.
Mais admettons que ce soit le cas. Un compte Twitter serait apparu qui
aurait repris mon pseudo et un avatar crédible avant de commencer à
raconter des atrocités en se faisant passer pour moi.
Et alors ?
Ce genre de compte a toujours été possible en jouant sur de subtiles
variations orthographiques. On pourrait imaginer @pl0um, @ploom, @p1oum,
… Cela fait un an que mon compte avait disparu, il n’est plus référencé
sur mon site ni dans aucune bio, il a 0 follower. Quelle est la
crédibilité d’un faux compte ?
Ne pas supprimer son compte Twitter par peur d’usurpation d’identité,
c’est reconnaître à Twitter un pouvoir énorme, un pouvoir étatique :
celui d’assigner l’identité des individus. Reconnaissez-vous Elon Musk
comme garant de votre identité ? Si non, il est urgent de supprimer
votre compte. Et si oui, rappelez-vous que Musk peut s’arroger de
prendre votre identifiant à sa guise. Il l’a déjà fait.
Ce genre d’argument, que j’entends très souvent, me fait également
souvent sourire parce que, en toute honnêteté, qui est suffisamment
important pour qu’on veuille usurper son identité sur Twitter ? Et quels
problèmes de cette situation très hypothétique ne pourraient pas être
réglés par un simple « Ce compte Twitter se fait passer pour moi, mais
ce n’est pas moi » sur vos autres plateformes et sur votre site ?
Franchement, au rythme où ça va, vous pensez vraiment qu’il y’aura quoi
que ce soit de crédible sur Twitter dans un an ? Si votre identité
numérique est importante, investissez dans un nom de domaine avant toute
chose !
L’inventeur, auteur et technologiste Jaron Lanier, par exemple, n’a
jamais eu de compte sur aucun réseau social. Il a d’ailleurs écrit un
livre très court pour vous convaincre d’effacer vos comptes. Pourtant,
il y’a plusieurs comptes à son nom, certains portant même la mention
« officiel ». Il se contente de dire sur son site que ces comptes ne
sont pas de lui. Point à la ligne, problème réglé.
10 arguments pour supprimer vos comptes sur les réseaux sociaux
https://www.jaronlanier.com/tenarguments.html
OK, toi tu l’as fait, mais moi je vais perdre ma communauté et mon
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audience
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Comme le raconte Cory Doctorow, votre audience Twitter a déjà disparu.
Ce n’est qu’un chiffre. Le média NPR a supprimé son compte Twitter et
ses visites ont baissé de moins de 1%. Cory Doctorow a 10 fois plus de
followers sur Twitter que sur Mastodon. Mais quand on parle des partages
et des réponses, le ratio s’inverse. Mastodon est clairement beaucoup
plus actif.
Blog de Cory Doctorow sur la disparition de l’audience Twitter
https://pluralistic.net/2023/10/14/freedom-of-reach/
La même expérience vient d’être menée involontairement par l’application
Signal. Le compte Twitter officiel de Signal, 600k followers, a en effet
réagi à l’annonce d’une faille de sécurité.
Le message de Signal sur Twitter
https://nitter.net/signalapp/status/1713789255359619171
Ce message a fait la première page du populaire site Hacker News et a
donc été vu beaucoup de fois, y compris par des gens ne suivant pas le
compte Signal sur Twitter.
5h plus tard, alors que le message Twitter faisait déjà le buzz, Signal
a reposté le contenu sur son compte Mastodon, qui n’a « que » 40k
followers (15 fois moins).
Le même message de Signal sur Mastodon
https://mastodon.world/@signalapp/111243840362802813
Pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, le nombre de partages est
incroyablement identique (641 contre 615). Le nombre de réponses est
également très similaire (30 contre 23). Et si on retire les "lol", les
memes et autres réponses de moins de cinq mots, on peut même arriver à
la conclusion que le fameux « engagement » sur Twitter est à peu près
nul. (UPDATE: une semaine plus tard, le nombre de partages est passé à
1100 sur Mastodon pour 900 sur Twitter)
L’écrivain Henri Lœvenbruck a également supprimé complètement son compte
Twitter et sa page Facebook en 2022. Il est pourtant connu et vit de sa
notoriété. Son roman « Les disparus de Blackmore », publié quelques mois
après cette suppression, s’est mieux vendu que le précédent. Nul ne
saura jamais s’il aurait pu en vendre encore plus en étant sur Facebook
ou Twitter. Mais la preuve est faite que cette présence n’est absolument
pas indispensable.
Je le dis et le redis : le nombre de followers est faux. C’est une
information qui est conçue dans l’optique de vous tromper.
Pour une poignée de followers (billet où je détaille cet argument)
https://ploum.net/2023-07-23-pour-une-poignee-de-followers.html
Oui, vous avez le droit de supprimer vos comptes
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Le sentiment de m’être fait avoir en créant des comptes sur Twitter,
Facebook et autres Medium est fort. Mais ma seule erreur a été de croire
les promesses de cette industrie. Ce n’est pas moi qui me suis trompé,
ce sont les plateformes qui nous ont menti. Certains le prédisaient déjà
à l’époque et me traitaient de naïf. Je ne les ai pas écoutés, je m’en
excuse auprès d’eux. J’ai parfois argué « qu’il fallait aller où les
gens étaient », devenant moi-même un allié de ces plateformes. Je vous
ai encouragé, vous qui me lisez depuis des années, à m’y rejoindre,
contribuant à leur emprise. Je m’en excuse profondément auprès de vous.
Ne pas déceler un mensonge est une erreur. À ma décharge, c’est une
erreur qui peut arriver à tout le monde.
Mais aujourd’hui, le mensonge est éclatant. Il est indéniable.
Recommanderais-je à mes amis de s’inscrire sur ces plateformes ? Serais-
je d’accord que mes enfants s’y inscrivent ? Si la réponse est non à
l’une de ces questions, garder un compte sur ces plateformes n’est plus
excusable.
Nous sommes le composant essentiel des plateformes centralisées. Si nous
n’aimons pas ce qu’elles sont ou ce qu’elles deviennent, si leurs
valeurs sont en contradiction avec les nôtres, notre devoir est de les
quitter, de les assécher, pas de lutter pour les améliorer.
Ne pas réagir et continuer à se laisser faire lorsque le mensonge est
flagrant n’est pas une erreur, c’est à la limite de la complicité. C’est
encore plus le cas pour les organisations et les militants qui
prétendent soutenir des valeurs opposées à celles de la plateforme. On
ne peut pas lutter contre le capitalo-consumérisme sur Facebook ni
contre l’extrême droite sur Twitter. Le prétendre n’est qu’hypocrisie
intellectuelle.
Et j’en ai été le premier coupable.
Aujourd’hui, je tente de réparer mes erreurs du passé en vous demandant,
à vous mes amis qui lisez ceci, de supprimer vos comptes sur ces réseaux
sociaux publicitaires. Je peux vous rassurer : non, vous n’allez que peu
ou prou manquer des choses importantes. Oui, ça sera dur au début, mais
ça ira de mieux en mieux. Et peut-être que vous allez y gagner beaucoup
plus que ce que vous imaginez.
Oui mes amis, vous avez le droit, vous avez le devoir de supprimer vos
comptes !
PS : Je dédie ce post à Henri Lœvenbruck, cité plus haut dans cet
article. Cela fait un an jour pour jour que t’es arrivé sur Mastodon.
J’en suis heureux pour toutes les expériences vécues ensemble cette
année et dans les prochaines. Joyeux mastanniversaire mon ami !
Photo d’illustration par Max Böhme.
https://unsplash.com/fr/photos/pianta-di-vite-verde-sul-muro-di-mattoni-mar…
LE NOUVEAU TRANSHUMANISME
by Ploum on 2023-10-17
https://ploum.net/2023-10-17-transhumanisme.html
Les poumons remplis par la cigarette électronique,
Les oreilles bouchées par les écouteurs,
Les yeux obnubilés par l’écran,
Les doigts agrippés au smartphone,
Que l’on porte alternativement devant la bouche ou l’oreille,
Dans son absurde horizontalité.
Nous rêvions d’un transhumanisme pour étendre nos capacités,
Pour augmenter notre sensorialité,
Pour démultiplier notre perception et notre impact sur la réalité.
Nous avons construit à la place une technologie de l’anesthésie.
Nous bloquons, nous bouchons, nous tentons d’oublier.
Nous désactivons nos sens pour ne pas nous sentir crever.
Et lorsque nous nous retrouvons brièvement déconnectés,
Les sens soudain réveillés sur la conscience de la douleur d’exister,
Angoissés nous cherchons une connexion, un substitut, un objet à
acheter,
Un cancer à consommer en cannette, barre sucrée ou cendres inhalées.
L’extension, l’amélioration de la réalité étaient un rêve.
Mais les rêves ne sont plus faits pour se réaliser,
Ils ne sont que l’inspiration de produits à consommer.
J’aurais bien sauvé le monde, mais je vais rater.
Le dernier épisode de la nouvelle série télé.
Après tout, ce petit écran ne me donne-t-il pas accès au monde entier ?
Au savoir humain dans son entièreté ?
Moi dont la voix pourrait porter à l’autre bout de la planète,
Moi qui pourrais sans effort créer de quoi…
Oh, tiens, une mise à jour à installer !
LES TERRITOIRES PERDUS
by Ploum on 2023-10-12
https://ploum.net/2023-10-12-territoires-perdus.html
Les hommes avaient mis la nature en prison, la détruisant, la repoussant
pour planter ces immensités de jachères macadamisées où poussent la
tôle, le bruit, l’air vicié et les accidents.
Les arbres tentaient vainement de subsister, leur chlorophylle grise en
quête de quelques brins de lumière ayant traversé le smog.
Les ligneux esprits avaient du mal à comprendre cette humanité délirante
: « Mais pourquoi les humains construisent-ils des cages à parking ? »
> Ce texte est une réponse instinctive et spontanée à la photo « Les
territoires perdus » de Bruno Leyval, photo qui illustre cet article et
reproduite ici avec sa bénédiction.
« Les territoires perdus » par Bruno Leyval
https://www.brunoleyval.fr/les-territoires-perdus/
CE QUE L’ÉCOLOGIE PEUT APPRENDRE DU LOGICIEL LIBRE
by Ploum on 2023-10-09
https://ploum.net/2023-10-09-ecologie-et-opensource.html
Extrait de mon journal du 8 octobre 2023.
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L’écologie a beaucoup à apprendre de l’échec du mouvement pour le
logiciel libre. Celui-ci, perçu avec raison comme étant un combat moral
s’opposant à la privatisation et la marchandisation des communs, s’est
mué en open source, un mouvement très similaire, mais mettant en avant
l’aspect technique afin de ne plus remettre en question l’aspect
mercantile et la philosophie capitaliste.
Le résultat est sans appel: l’open source a gagné ! Il est partout. Il
compose l’essentiel des logiciels que vous utilisez tous les jours. Le
plus grand adversaire historique du logiciel libre, Microsoft, est
devenu le plus grand contributeur à l’open source, étant même
propriétaire de la plus grande et incontournable plateforme de
développement open source : Github.
Et pourtant, les utilisateurs n’ont jamais eu aussi peu de liberté (ce
qui justifie que je parle d’échec). Nous sommes espionnés, nous devons
payer des abonnements mensuels pour tout, nous sommes soumis à des
myriades de publicités. Nous n’avons aucun contrôle sur nos données ni
même sur les ordinateurs que nous achetons. Là où le logiciel libre
s’opposait à la privatisation des communs, l’open source contribue à cet
accaparement.
La victoire à la Pyhrrus de l’open source entraine une désertion du
combat pour la préservation de nos libertés fondamentales. La
disparition de ces libertés n’était, au départ, que perçue comme un
délire de quelques geeks paranoïaques. Elle est désormais un fait avéré
et totalement banalisé, normalisé dans la vie quotidienne de l’immense
majorité des humains. Le simple droit à exister sans être espionné, sans
être envahi par les monopoles publicitaires et sans être forcé à
dépenser de l’argent pour une énième mise à jour a essentiellement
disparu. Se connecter aux plateformes en ligne officielles de nombreuses
institutions, y compris étatiques, nécessite désormais le plus souvent
un compte Google, Apple ou Microsoft. La plus grande université
francophone de Belgique, où je suis employé, force chaque étudiant et
chaque membre du personnel à utiliser un compte Microsoft et à y sauver
toutes ses données, toutes ses communications.
Le parallèle avec l’écologie est troublant à l’heure où la doxa
politique consiste à concilier écologie et consumérisme. L’écologie de
marché est promue comme une solution exactement de la même manière que
l’open source était vu comme une manière pour le logiciel libre de
s’imposer.
Nul besoin d’être prophète pour prédire que le résultat sera identique,
car il l’est déjà : une situation aggravée, mais perçue comme
acceptable, car le combat fait désormais partie du passé. Les militants
restants forment une arrière-garde décatie.
Le marché des compensations carbone, qui produit plus de pollution que
s’il n’existait pas tout en autorisant les plus gros pollueurs à
s’acheter une conscience, n’est que le premier de nombreux exemples.
L’absurde hypocrisie des entreprises de se prétendre « écologiques » ou
« vertes » en est une autre. En vérité, il n’y a pas de compromis à
faire avec l’économie consumériste, car elle est la racine du mal qui
nous ronge.
Bon nombre de militants écologistes se regroupent désormais sur des
plateformes publicitaires comme Facebook ou Google qui cherchent à
privatiser l’information et les espaces de discussions en nous poussant
à la consommation. Ce n’est qu’une des nombreuses illustrations de notre
incapacité à imaginer les conséquences logiques de nos actions dès le
moment où notre salaire et notre confort quotidien dépendent du fait que
nous ne les imaginions pas.
Mon expérience universitaire démontre que les organisations qui sont
censées nous servir d’élite intellectuelle sont tout autant corrompues
et dénuées de l’imagination qui est pourtant le cœur de leur mission.