KEYNOTE TOURAINE TECH 2023 : POURQUOI ?
by Ploum on 2023-03-30
https://ploum.net/2023-03-30-tnt23-pourquoi.html
> Cette conférence a été donnée le 19 janvier 2023 à Tours dans le cadre
Touraine Tech.
> Le texte est ma base de travail et ne reprend pas les nombreuses
improvisations et digressions inhérentes à chaque One Ploum Show.
Vidéo de la conférence (50 minutes)
https://www.orion-hub.fr/w/eGh3n2eNdTtHDB9ohiM5jp
Bonjour. Cela me fait plaisir de vous rencontrer dans cette école
polytechnique de Tours, car je suis moi-même issu d’une école
polytechnique où j’enseigne et travaille. Le terme « Polytechnique » est
magnifique : plusieurs technologies, plusieurs domaines. Chez nous, à
Louvain, nous avons le département de mécanique,le département
d’électricité, de chimie, de construction, quelques autres et enfin le
département d’informatique.
Lorsqu’on a étudié en polytechnique, on devient un ingénieur. Il m’a
fallu des années pour articuler la différence entre un scientifique et
un ingénieur. Mais au fond, c’est très simple : le scientifique cherche
à comprendre, à découvrir les lois de la nature. L’ingénieur cherche à
contourner les lois ainsi découvertes. Le scientifique dit « cette
feuille de papier tombe ! », l’ingénieur la plie en avion et réponds
« pas toujours ». L’ingénieur produit donc des miracles : malgré la
gravité, il fait voler des avions de plusieurs centaines de tonnes. Il
arrive à construire des bâtiments, des ponts qui enjambent des gouffres.
Produire des matériaux capables de résister à une rentrée dans
l’atmosphère à haute vitesse. Ou d’inventer un procédé pour que la bière
fasse psshhh lorsqu’on décapsule la canette. J’ai eu un professeur qui a
fait fortune avec un tel procédé. Les ingénieurs (et pas seulement ceux
qui ont le diplôme, je parle aussi de ceux qui le sont par expérience)
prennent donc des lois immuables de la nature comme la gravité, la
résistance, la mécanique vibratoire, l’électricité et ils assemblent le
tout pour en faire des avions, des ponts, des sous-marins, des
satellites ou des tranches de jambon qui se conservent au frigo.
L’ingénieur est donc un rebelle, il cherche le progrès, à changer le
monde.
À l’opposé, il y’a une catégorie de personnes qui prennent des
inventions humaines et tentent d’en faire des lois naturelles, de se
convaincre qu’on ne peut pas les dépasser. Cela s’appelle la théologie.
C’est exactement l’inverse de l’ingénieur : faire croire que des écrits
produits par des humains morts depuis longtemps ne pourront pas être
dépassés ni améliorés.
Dans les facultés polytechniques, on trouve rarement un département de
théologie.
Par contre, on a désormais immanquablement un département
d’informatique. Et quelles sont les lois de la nature qui y sont
utilisées ? Une seule : faire bouger un électron le plus vite possible.
On y arrive d’ailleurs tellement bien que ce n’est plus vraiment un
problème. On pourrait arguer que certains problèmes algorithmiques
relèvent des lois de la nature, mais rares sont les ingénieurs en
informatique qui s’y confrontent tous les jours.
La réalité est que l’informatique est désormais réduite à prendre le
travail de personnes qu’on ne connait pas et de les instituer en lois
incontournables puis de tenter de construire par-dessus sans jamais, au
grand jamais, tenter de les contourner et les remettre en question.
L’informatique n’est plus de l’ingénierie, c’est devenu de la théologie.
Le travail de l’informaticien est une sorte de puzzle intellectuel
comparable à ce que font les rabbis lorsqu’ils interprètent la Torah.
L’informaticien n’est plus un rebelle progressiste, mais un conservateur
au service de l’immobilisme.
Si vous travaillez dans l’informatique, il y’a de fortes chances que
votre mission réelle puisse se résumer à « afficher sur l’écran d’un
client les chiffres et les lettres qu’il souhaite y voir ». D’accord, il
y’a parfois des images et du son. Mais que ce soit sur Youtube ou
Soundclound, l’interface première pour accéder à une vidéo, une image ou
un son reste le texte. Imaginez Spotify ou Netflix sans aucun texte ?
Inutilisable. Sans image ? Peut-être un poil plus rébarbatif, mais c’est
tout. Une fois maitrisés la compression et le transfert des sons et
images d’un ordinateur à l’autre, le seul travail reste donc le texte.
D’ailleurs, que ce soit dans un éditeur de code, un traitement de texte
ou un client email, force est de constater que nous passons l’essentiel
de notre temps à frapper des touches pour écrire du texte. Et que lire
ou réfléchir est rarement perçu comme un véritable travail. D’ailleurs,
si on s’arrêtait pour réfléchir, on serait probablement effrayé.
Surpris. On ne pourrait s’empêcher d’articuler à voix haute cette phrase
terrible, hantise de tout maniaque de la productivité : « Mais c’est
quoi ce bordel ? » voire, bien pire, ce simple mot, honni, banni du
vocabulaire de l’immense majorité des cerveaux de la startup nation :
« pourquoi ? »
C’est vrai ça, pourquoi ?
Réponse typique : parce que c’est comme ça, parce que tout le monde fait
comme ça, parce qu’on a toujours fait comme ça, parce qu’on te dit de
faire comme ça et tu ne vas pas changer le monde.
Et bien si, justement ! On change le monde. On doit changer le monde. On
ne peut que changer le monde. Alors autant réfléchir dans quel sens on
veut le faire évoluer.
Depuis les années 80, on sait échanger des messages entre ordinateurs
avec l’email, on sait échanger des fichiers avec FTP, on sait discuter
et s’engueuler publiquement sur Usenet. Le seul truc encore difficile
était de savoir où trouver l’information. Qu’à cela ne tienne, en 91, un
Anglais et un Belge travaillant en Suisse dans un bureau situé du côté
français de la frontière inventent… le web ! Ça commence comme une
blague, non ?
Le but du web n’est, à la base, que de permettre d’accéder facilement à
la documentation de la plus grosse machine jamais construite par
l’homme : l’accélérateur de particules du CERN. Avec le web, on peut
cliquer de page en page pour découvrir du contenu en utilisant des
hyperliens. Le web n’a pas inventé la notion d’hyperliens. En fait, le
concept était à l’époque sur toutes les lèvres, il y’avait même une
conférence dédiée au sujet. Tim Berners Lee y a d’ailleurs présenté le
web lors de l’édition de 92. Dans une petite salle au fond du couloir et
dans l’indifférence générale. Personne n’a trouvé ça excitant ou
intéressant.
Une fois qu’on a eu le web, on peut dire qu’on avait résolu l’essentiel
des problèmes techniques permettant l’usage d’Internet. On pouvait
désormais afficher n’importe quel texte sur n’importe quel ordinateur.
Le truc commence à avoir du succès et un jeune Américain très ambitieux
va avoir une idée. Il travaille pour un organisme américain parastatal
et programme un navigateur web : Mosaic. Il décide de quitter son job
pour créer un navigateur web commercial. Afin de rendre le truc cool, il
ajoute une balise image au HTML initial.
Le mec en question s’appelle Marc Andreesen et son navigateur Netscape.
Tim Berners Lee est pas trop chaud pour la balise image. Il propose des
alternatives. Il craint que les pages web deviennent de gros trucs
flashy illisibles. Rétrospectivement, on ne peut pas vraiment lui donner
tort. Mais Marc Andreesen n’en a cure. Il intègre sa propre balise image
à Netscpape et distribue Netscape gratuitement. Il devient millionnaire
et fait la couverture de nombreux magazine.
Attendez une seconde… Il devient millionnaire en payant des gens à
programmer un truc distribué gratuitement ? Tout un concept ! Devenir
millionnaire en dépensant de l’argent, c’est pas mal non ?
Le secret, c’est de dépenser l’argent des autres. On prend l’argent des
investisseurs, on l’utilise pour créer un truc qui ne rapporte rien,
mais qui est très cool (le terme technique est « bullshit ») et on
attend qu’une grosse boîte rachète le tout parce que c’est cool. Marc
Andreesen invente littéralement le concept de web startup qui perd de
l’argent et vaut des milliards. Le concept reste d’ailleurs aujourd’hui
très populaire. Quand on y pense, toute l’économie du web est une
gigantesque pyramide de Ponzi qui attend les prochains pigeons… pardon,
investisseurs. Les cryptomonnaies, à côté, c’est du pipi de chat, du
travail d’amateur.
Mais revenons à nos moutons : on sait désormais tout faire sur Internet.
Il faut juste se former un minimum. Mais le marketing va s’emparer de
l’histoire pour le complexifier à outrance. Tout en prétendant le rendre
plus simple. D’abord il va y avoir Java. Puis Javascript qui est, de
l’aveu de son créateur, un truc bâclé créé sur un coin de table pour
faire une démo. Le truc est tellement infâme que peu de monde le
comprend. Du coup, on rajoute une surcouche qu’on appelle AJAX. Et comme
Ajax est trop compliqué, on crée des frameworks au-dessus de cela. Et
comme chaque framework est compliqué, on fait des frameworks de
frameworks. La philosophie est simple : chaque fois qu’une andouille
quelconque veut afficher du texte sur l’écran d’un client, elle se rend
compte que c’est compliqué. Alors elle décide d’écrire une abstraction
qui simplifie le tout. Et, évidemment, son abstraction se confronte
rapidement au fait que la réalité est complexe. Soit elle abandonne son
idée, soit elle la complexifie jusqu’au point où une autre andouille la
trouve trop compliquée. Et le cycle recommence.
En prétendant simplifier, nous ne faisons que complexifier. Et il y’a
une raison à cela : la complexité est un argument marketing. Elle donne
une illusion de valeur, de la maitrise d’un savoir obscure accessible
uniquement aux initiés. C’est le principe de l’occultisme et du
mysticisme voire de l’astrologie : prétendre que tout est très compliqué
et qu’il faut être initié. C’est une arnaque vieille comme le monde.
Le problème de la complexité, outre son coût et le fait qu’elle entraine
une dépendance au fournisseur, un vendor lock-in, est qu’elle force à un
simplisme paradoxal. Je m’explique : le problème semble conceptuellement
simple. Simpliste même. Et pourtant incroyablement difficile à
implémenter, nécessitant des experts pour les détails. La réalité c’est
que tout est facile à implémenter dès lors que l’on sait précisément ce
qu’on veut faire. Définir ce qu’on veut est incroyablement complexe.
C’est se demander « pourquoi ? ». Intuitivement, on rêve tous d’une
maison de plain-pied à deux étages. Ou ce groupe de clients qui avaient
bossé à cinq pendant plusieurs semaines pour me fournir des specs très
précises. Une liste de « requirements ». Qui était incohérent entre eux.
Que voulons-nous réellement ? Et surtout, pourquoi le voulons-nous ?
Masquer les choix sous la complexité permet de nier leur existence. De
faire croire qu’il n’y a pas de choix. Et de permettre à d’autres de
faire des choix. Pourquoi avons-nous eu Java et Javascript ? Car
Netscape voulait rendre Microsoft obsolète et devenir calife à la place
du calife. Pas pour être utile à l’utilisateur. Cacher les choix
fondamentaux permet d’étouffer le citoyen sous un sentiment
d’inexorabilité. De le transformer en utilisateur, de lui faire perdre
son statut d’acteur de sa propre vie.
Que voulons-nous faire ? Afficher du texte sur un écran. Pourquoi ?
Chaque mise à jour, chaque nouveauté n’est que l’assertion d’une
autorité arbitraire. On ne rend pas un système plus facile en le
simplifiant. On le rend plus facile en le rendant apprenable. Qui
d’entre vous sait conduire une voiture manuelle ? C’est pourtant hyper
complexe quand on y pense. Et hyper dangereux. Vous risquez votre vie au
moindre écart. Pourtant, vous l’avez appris en quelques semaines,
quelques mois. Et vous vous améliorez d’année en année.
L’informatique est compliquée ? Non, elle est insaisissable. Elle change
tout le temps. Ça va de la mise à jour prétendument de sécurité qui
introduit un nouveau bug à ce fameux nouveau design avec des nouvelles
icônes. Dont vous êtes si fier. Pour l’utilisateur, c’est l’obligation
de réapprendre, de s’adapter sans aucune raison. J’utilise le service
Protonmail pour mes mails et mon calendrier. L’icône du mail était une
enveloppe avec le haut en forme de cadenas. Le calendrier était… une
page de calendrier. Sur mon téléphone eink en noir et blanc, ça passait
nickel. Y’avait qu’une seule couleur de toute façon. Puis est venu un
redesign complet. Pour quelle raison ? Aucune idée. Le mail est
désormais un rectangle dans un dégradé de mauve avec un creux figurant
vaguement une enveloppe. Le calendrier est le même rectangle sans le
creux. Sur mon écran eink, c’est icône sont des pâtés sans aucune
signification.
Les utilisateurs ont vite compris ce que les geeks ne voulaient pas
admettre : votre vie n’est qu’à un upgrade de devenir merdique. Du coup,
le réflexe le plus rationnel est de ne pas faire les mises à jour.
Sérieusement, vous connaissez un seul utilisateur qui se dit « Génial !
Un nouveau design pour cette application que j’utilise depuis des
années ! » ?
Comment l’industrie a-t-elle réagi ? En se posant la question de savoir
pourquoi l’utilisateur ne fait pas ses mises à jour ? Non, en forçant
ces mises à jour. En rendant la vie de l’utilisateur encore plus
misérable à travers des culpabilisations. À travers des notifications
incessantes. En lui prétendant que c’est pour sa sécurité. Vous savez
quoi ? L’utilisateur n’est jamais en danger si son ordinateur n’est que
rarement connecté. La plupart des risques sont liés à la complexité
imposée à l’utilisateur. Si son navigateur se contentait d’afficher le
texte qu’il veut voir, il ne risquerait rien. Il ne serait pas forcé de
racheter un nouvel engin à l’empreinte écologique crapuleuse. Sans
compter que l’immense majorité des menaces, comme les arnaques, ne
peuvent pas être résolues par des mises à jour.
Ma liseuse fonctionne très bien. Elle n’est jamais en ligne. J’y charge
des epubs par USB. L’autre jour, j’ai activé par erreur le wifi. Elle
m’a immédiatement annoncé une mise à jour importante. En consultant le
changelog détaillé, j’ai découvert que cette mise à jour ajoutait une
nouvelle fonctionnalité : des lectures suggérées de la boutique Vivlio
sur la page d’accueil. La mise à jour m’aurait donc permis d’avoir… des
publicités sur mon engin. Des publicités sur cet écran que je prends
avec moi dans mon lit…
Chaque mise à jour rend la vie de l’utilisateur encore plus misérable
dans le seul but de faire bander le responsable marketing qui se paluche
devant le nombre de "clics" (encore du texte affiché sur un écran) ou de
faire mouiller la responsable du rebranding qui trouve trop super de
bosser avec une équipe de designers sous ecstasy.
Las d’être exploités, certains utilisateurs se réfugient dans la théorie
du complot. Vous avez déjà vu 4chan, le site où naissent la plupart de
ces théories ? Du pur HTML sans artifice. D’autres, comme moi, se
réfugient dans d’obscures niches comme Gemini. L’industrie prétend alors
se tourner vers le minimalisme. Comme Medium par exemple ? Vous avez
déjà vu le code source d’une page Medium ? Faites-le et vous supprimerez
immédiatement votre compte si vous en avez un. C’est ce que j’appelle le
"paradoxe Medium" : tout projet minimaliste va soit disparaitre, soit
grandir assez pour voir apparaitre une surcouche alternative permettant
un accès minimaliste… au service minimaliste (scribe.rip pour Medium,
Nitter pour Twitter, Teddit pour Reddit, etc.). D’ailleurs, vous
connaissez beaucoup de monde qui surfe sur le web sans différents
adblocks ? On est désormais habitué à une couche de complexité qui sert
à contourner les couches de complexités que nous avons nous-mêmes
implémentées.
L’industrie du web est une gigantesque pyramide de Ponzi qui tente
d’exploiter jusqu’au trognon des utilisateurs contrôlés, humiliés et
traités de crétins. Mais le web est devenu trop important. Il est devenu
un pilier sociétal. Fuir le bateau n’est pas une option. Nous sommes à
un moment crucial pour l’histoire de l’humanité. Et pour sauver
l’humanité, il faut sauver le web. Revenir aux fondamentaux. Afficher du
texte sur l’écran d’un citoyen.
Concervoir des systèmes qui s’apprennent. Et donc ne changent pas.
Respecter l’humain. Et donc lui donner le texte dont il a besoin sans
l’espionner. Sans l’assommer. Bordel, je veux juste commander un
hamburger, pas installer votre app moisie.
L’année passée, je ne suis posé la question pour mon propre blog. Il m’a
fallu beaucoup de temps pour arriver à une simple conclusion. Pour
répondre à la question « pourquoi ? ». Et la réponse était : pour être
lu ! J’ai réécrit tout mon blog sous forme de pages statiques que je
génère avec mon propre script Python. C’est très simple en fait
lorsqu’on sait ce qu’on veut. La page d’accueil de mon blog, sous
Wordpress, faisait presque 1 Mo. Elle fait désormais 5 ko. J’ai retiré
toutes les images qui n’aident pas à la lecture. Je pense que les
réseaux sociaux sont un obstacle à la lecture. Ils nous déconcentrent,
nous manipulent. Du coup, j’ai supprimé tous mes comptes exceptés
Mastodon.
Est-ce que tenter d’augmenter le nombre de followers sur un réseau
m’aide à être lu ? Non. Ce nombre n’aide rien. Il est de toute façon
faux, fictif. Supprimés les concours de followers. En tout et pour tout,
en plus du HTML, j’ai ajouté 40 lignes de CSS. Pas une de plus. Chacune
n’a été ajoutée que si elle pouvait aider la lecture de mes écrits sans
a priori esthétique.
On pourrait croire que ça fait un blog un peu rétro, genre brutaliste.
Pourtant, dès les premiers jours, j’ai reçu plusieurs demandes pour mon
« template ». Y’a 40 lignes de CSS dont la moitié servent juste au menu
au-dessus de chaque page !
Je me suis aussi cassé la tête sur l’idée d’une pagination pour naviguer
entre les articles, sur un moteur de recherche. Mais j’affiche désormais
simplement la liste de tous mes billets sur une page. Aussi simple que
cela. Ne me dites pas que ça ne « scale pas » : y’en a presque 900 ! Le
moteur de recherche ? Un simple ctrl+f dans votre navigateur. Encore un
truc apprenable qui est ignoré, car la complexité le rend inutilisable
sur la plupart des sites « modernes ».
La conséquence la plus étonnante de tout cela, c’est le nombre de
lecteurs qui me contactent à propos d’anciens billets. C’est simple,
rapide et ça charge instantanément même sur les mauvaises connexions. Du
coup les gens me lisent. C’est tellement inhabituel de ne pas devoir
attendre, de ne pas devoir se casser la tête.
J’ai un très bon laptop et pourtant, sur le web, chaque page met
quelques fractions de seconde à s’afficher. À chaque page, mes bloqueurs
empêchent des centaines de requêtes, évident des mégaoctets entiers de
téléchargement. Et les responsables de cet état de fait sont dans cette
salle. Ils l’ont implémenté sans demander « pourquoi ? ».
Alors je vous le demande. Non plus comme un confrère ingénieur, mais
comme un citoyen du web qui en a assez de devoir considérer son propre
navigateur comme un territoire hostile. Apprenez à demander
« pourquoi ? ». Puis à répondre « non ». Plutôt que de réfléchir sur le
prochain framework JavaScript ou l’utilitaire de tracking de
statistiques et le surdimensionnement du data center pour héberger un
elasticsearch clustérisé à redondance asynchrone dans des containers
virtualisés à travers un cloud propriétaire à charge répartie monitoré
depuis une app custom nodejs qui achète automatiquement des certificats
d’offset CO2 pour obtenir le label de datacenter durable, le tout à
travers des transactions byzantines sur une blockchain permissioned qui
trade de manière décentralisée sur le marché parallèle.
Bon, en fait, les blockchains permissioned, c’est une arnaque
sémantique. Cela veut juste dire « base de données centralisée ». Les
offsets carbone sont une vasque escroquerie. Ce sont les indulgences de
notre siècle enrobées d’un capitalisme foncièrement malhonnête (si vous
achetez des offsets carbone, vous pouvez arrêter, vous êtes en train
d’enrichir des escrocs tout en encourageant un système qui a démontré
faire pire que mieux). Et votre application distribuée va de toute façon
se casser un jour la gueule le jour où une mise à jour sera faite dans
un obscur repository github dont vous ignorez l’existence, entrainant
une réaction en chaine démontrant que votre app sans single point of
failure n’était pas sans single point of failure que ça finalement.
Je sais, le client est roi. Il faut payer les factures. À partir d’un
certain montant, on obéit. Et à partir d’un autre, on prétend aimer ça :
« Oh oui, c’est génial, nous rêvons de développer un showroom virtuel
pour vos nouveaux SUVs. Un véritable challenge ! Un peu comme ce système
de ciblage publicitaire pour adolescents que nous avons développé pour
Philipp Morris, n’est-ce pas Brenda ? »
L’important n’est pas de devenir parfait ni puriste. Nous sommes tous
pleins de contradictions. L’important est d’arrêter de se mentir, de
justifier l’injustifiable. De savoir pourquoi on fait les choses. Mettre
le nez de vos commanditaires dans leur propre caca en leur posant la
question : « pourquoi ? ». Et, sur le web, de revenir à l’essentiel :
afficher du texte.
Cette réflexion m’a amené à écrire avec… une machine mécanique. À
publier en utilisant une technologie complètement libre, sans monopole,
sans app store et avec une empreinte écologique non négligeable, mais
bien moindre que l’informatique : le livre. Un livre qui sera toujours
lisible, échangeable, copiable quand toutes les lignes de code que nous
avons produit collectivement auront depuis longtemps été oubliées.
Écrire à la machine et lire des livres papier sont des actes rebelles.
Mais j’aime trop l’informatique pour m’en passer. Je veux qu’elle
redevienne rebelle. Qu’elle redemande « pourquoi ? ». Je vous demande de
m’aider. Je vous confie cette mission : l’informatique doit cesser
d’être une religion prônant l’obéissance, la soumission, l’humiliation,
la consommation. Elle doit redevenir une science. Un art.
Une liberté…
Photo par Adrien Gacon sur le Flickr Touraine Tech
https://www.flickr.com/photos/164202300@N04/52732219488/in/album-7217772030…
Vidéo originale sur Youtube
https://www.youtube.com/watch?v=mXuPJtV07vE
DÉDICACES À LA FOIRE DU LIVRE DE BRUXELLES CE SAMEDI 1ᵉʳ AVRIL
by Ploum on 2023-03-27
https://ploum.net/2023-03-27-foire-du-livre-bruxelles.html
Ce samedi 1ᵉʳ avril, je dédicacerai mon roman et mon recueil de
nouvelles à la foire du livre de Bruxelles.
Bon, dit comme ça, c’est pas très rigolo comme poisson d’avril, mais là
où c’est plus marrant c’est que je serai sur le stand du Livre Suisse
(stand 334). Ben oui, un Belge qui fait semblant d’être suisse pour
pouvoir dédicacer à Bruxelles, c’est le genre de brol typique de mon
pays. Bon, après, je vais sans doute être démasqué quand je sortirai ma
tablette de « vrai » chocolat (belge !)
Y a des blagues, comme disait Coluche, où c’est plus rigolo quand c’est
un Suisse…
Bref, rendez-vous de 13h30 à 15h et de 17h à 18h30 au stand 334 (Livre
Suisse) dans la Gare Maritime. C’est toujours un plaisir pour moi de
rencontrer des lecteurs qui me suivent parfois depuis des années. Ça va
être tout bon !
Ploum dans le programme de la Foire du Livre de Bruxelles
https://flb.be/les-rencontres/?pagination=1&program_search=ploum&search_typ…
DE L’IMPORTANCE DE COMPRENDRE CE QU’EST UNE LICENCE
by Ploum on 2023-03-14
https://ploum.net/2023-03-14-importance-des-licences.html
On entend souvent que les programmes informatiques ou les œuvres en
ligne sont publiées sous une licence. Qu’est-ce que cela signifie ? Et
en quoi est-ce important ?
Pour simplifier, dans nos sociétés, tout échange se fait suivant un
contrat. Ce contrat peut être implicite, mais il existe. Si j’achète une
pomme au marché, le contrat implicite est qu’après avoir payé, je reçois
ma pomme et je peux en faire ce que je veux.
Pour les biens matériels dits « rivaux », le contrat de vente implique
souvent un transfert de la propriété du bien. Mais il y’a parfois
d’autres clauses au contrat. Comme les garanties.
Là où les choses se corsent, c’est lorsque le bien échangé est dit
« non-rival ». C’est-à-dire que le bien peut être copié ou acheté
plusieurs fois sans impact pour les acheteurs. Dans le cas qui nous
concerne, on parle typiquement d’un logiciel ou d’une œuvre numérique
(film, livre, musique …). Il est évident que l’achat numérique ne nous
donne aucune propriété sur l’œuvre.
Il faut signaler que, pendant longtemps, la non-rivalité des biens comme
les musiques, les livres ou les films a été camouflée par le fait que le
support, lui, était un bien rival. Si j’achète un livre papier, j’en
suis propriétaire. Mais je n’ai pas pour autant les droits sur le
contenu ! Les supports numériques et Internet ont dissipé cette
confusion entre l’œuvre et le support.
Pour réguler tout cela, l’achat d’une œuvre numérique ou d’un programme
informatique est, comme tout achat, soumis à un contrat, contrat qui
stipule les droits et les obligations exactes que l’acheteur va
recevoir. La licence n’est jamais qu’un contrat type, une sorte de
modèle de contrat standard. Ce contrat, et une bonne partie de notre
société, se base sur la présupposition que, tout comme un bien rival, un
bien non-rival se doit d’avoir un propriétaire. C’est bien entendu
arbitraire et je vous invite à questionner ce principe un peu trop
souvent admis comme une loi naturelle.
Il est important de signaler que chaque transaction vient avec son
propre contrat. Il est possible de donner des droits à un acheteur et
pas à un autre. C’est d’ailleurs ce principe qui permet la pratique de «
double licence » (ou dual-licensing).
Droits et obligations définis par la licence
============================================
Dans notre société, toute œuvre est, par défaut, sous la licence du
copyright. C’est-à-dire que l’acheteur ne peut rien faire d’autre que
consulter l’œuvre et l’utiliser à des fins personnelles. Tout autre
utilisation, partage, modification est bannie par défaut.
À l’opposé, il existe le domaine public. Les œuvres dans le domaine
public ne sont associées à aucun droit particulier : chacun peut les
utiliser, modifier et redistribuer à sa guise.
L’une des escroqueries intellectuelles majeures des absolutistes du
copyright est d’avoir réussi à nous faire croire qu’il n’y avait pas
d’alternatives entre ces deux extrêmes. Tout comme on est soit
propriétaire de la pomme, soit on n’en est pas propriétaire, la fiction
veut qu’on soit soit propriétaire d’une œuvre (détenteur du copyright),
soit rien du tout, juste bon à regarder. C’est bien entendu faux.
Si la licence est un mur d’obligations auxquelles doit se soumettre
l’acheteur, il est possible de n’en prendre que certaines briques. Par
exemple, on peut donner tous les droits à l’utilisateur sauf celui de
s’approprier la paternité d’une œuvre. Les licences BSD, MIT ou Creative
Commons By, par exemple, requièrent de citer l’auteur original. Mais on
peut toujours modifier et redistribuer.
La licence CC By-ND, elle, oblige à citer l’auteur, mais ne permet pas
de modifications. On peut redistribuer une telle œuvre.
Un point important c’est que lorsqu’on redistribue une œuvre existante,
on peut modifier la licence, mais seulement si on rajoute des
contraintes, des briques. J’ai donc le droit de prendre une œuvre sous
licence CC By, de la modifier puis de la redistribuer sous CC By-ND. Par
contre, je ne peux évidemment pas retirer des briques et faire
l’inverse. Dans toute redistribution, la nouvelle licence doit être soit
équivalente, soit plus restrictive.
Le problème de cette approche, c’est que tout va finir par se
restreindre vu qu’on ne peut que restreindre les droits des utilisateurs
! C’est d’ailleurs ce qui se passe dans des grandes entreprises comme
Google, Facebook ou Apple qui utilisent des milliers de programmes open
source gratuits et les transforment en programmes propriétaires. Un
véritable pillage du patrimoine open source !
Le copyleft ou interdiction de rajouter des briques
===================================================
C’est là que l’idée de Richard Stallman tient du génie : en inventant la
licence GPL, Richard Stallman a en effet inventé la brique
« interdiction de rajouter d’autres briques ». Vous pouvez modifier et
redistribuer un logiciel sous licence GPL. Mais la modification doit
être également sous GPL.
C’est également l’idée de la clause Share-Alike des Creative Commons.
Une œuvre publiée sous licence CC By-SA (comme le sont mes livres aux
éditions PVH) peut être modifiée, redistribuée et même revendue. À
condition d’être toujours sous une licence CC By-SA ou équivalente.
Par ironie, on désigne par « copyleft » les licences qui empêchent de
rajouter des briques et donc de privatiser des ressources. Elles ont
souvent été présentées comme « contaminantes » voire comme des
« cancers » par Microsoft, Apple, Google ou Facebook. Ces entreprises se
présentent désormais comme des grands défenseurs de l’open source. Mais
elles luttent de toutes leurs forces contre le copyleft et contre
l’adoption de ces licences dans le monde de l’open source. L’idée est de
prétendre aux développeurs open source que si leur logiciel peut être
privatisé, alors elles, grands princes, pourront l’utiliser et,
éventuellement, très éventuellement, engager le développeur ou lui payer
quelques cacahouètes.
La réalité est bien sûr aussi évidente qu’elle en a l’air : tant
qu’elles peuvent ajouter des briques privatrices aux licences, ces
monopoles peuvent continuer l’exploitation du bien commun que
représentent les logiciels open source. Elles peuvent bénéficier d’une
impressionnante quantité de travail gratuit ou très bon marché.
Le fait que ces monopoles morbides puissent continuer cette exploitation
et soient même acclamés par les développeurs exploités illustre
l’importance fondamentale de comprendre ce qu’est réellement une licence
et des implications du choix d’une licence plutôt qu’une autre.