DE LA BRIÈVETÉ DE LA VIE ET DE LA PÉRENNITÉ D’UN BLOG
by Ploum on 2024-01-18
https://ploum.net/2024-01-18-perennite-dun-blog.html
Cette année 2024 m’est particulièrement symbolique. En octobre, je
fêterai les 20 ans de ce blog et ne serai plus très loin du million de
mots publiés. Vingt ans qui ont fait de ce blog un élément central et
constitutif de mon identité. Si je rêve d’être reconnu comme écrivain
voire développeur ou scientifique, je resterai toujours avant tout un
blogueur. Blogueur est d’ailleurs le premier qualificatif accolé à mon
patronyme dans les médias ou sur Wikipédia.
Ironiquement, l’année de ces 20 ans de blog a commencé avec la plus
longue indisponibilité que ce site ait jamais connue. Durant plusieurs
jours, ploum.net a été complètement retiré du réseau. En cause, une
attaque massive contre Sourcehut, mon hébergeur, forçant ce dernier à
migrer en catastrophe vers une nouvelle infrastructure.
Informations à propos de l’attaque contre Sourcehut
https://outage.sr.ht/
Si j’ai vécu la mise hors-ligne de mon blog comme une amputation, une
perte d’une partie de mon identité, je sais fort bien que cela ne me
porte aucun préjudice durable, que je ne perds aucune donnée. Ce genre
d’incidents font partie de la vie et je tiens à remercier l’équipe de
Sourcehut pour la transparence totale et le travail accompli ces
derniers jours.
Cet événement m’a également fait prendre conscience à quel point l’œuvre
de toute une vie pouvait disparaitre rapidement, dans l’indifférence la
plus générale. Si j’espère que mes livres sur arbres morts continueront
toujours à tomber aléatoirement d’une étagère ou être découverts chez
des bouquinistes, mes écrits en ligne, eux, sont d’éphémères bouteilles
à la mer susceptibles de couler dans les abysses de l’oubli au moindre
incident.
Cette question m’obsède depuis que je suis papa : comment faire en sorte
que mes écrits en ligne me survivent ?
Nom de domaine et indépendance
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J’espère que mon blog sera encore consultable le jour inévitable où
Facebook, Medium et Youtube auront été relégués avec Myspace et Skyblog
dans l’armoire des souvenirs historiques du web. Et quand je vois Alias
fêter les 15 ans de son blog, je pense ne pas être le seul. Les blogs
sont les archives à long terme du web:
Quinze ans de blogage (erdorin.org)
https://erdorin.org/quinze-ans-de-blogage/
Concrètement, je fuis toutes les plateformes propriétaires et je lie
tous mes écrits à mon propre nom de domaine : ploum.net. En fait, pour
être sûr, je dispose même de trois noms, sur trois premiers niveaux
différents: ploum.net, ploum.be, ploum.eu.
À court terme, cela peut être un mauvais calcul: les pages Facebook de
mes amis décédés sont encore en ligne alors que les domaines expirent
rapidement. Je dois donc préparer la transmission de ces domaines pour
assurer qu’ils puissent me survivre.
Simplicité et minimalisme
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Outre le nom de domaine, la première cause de mise hors ligne d’un site
est généralement le manque de maintenance. Un Wordpress piraté, car une
mise à jour n’a pas été faite. Une base de données incompatible avec une
nouvelle version du CMS. Même les générateurs de sites statiques doivent
être mis à jour, avec leur dépendance, et sont parfois abandonnés par
les développeurs.
Pour résoudre ce problème, mon blog est depuis décembre 2022 autogénéré
et ne produit que du HTML très simple, compatible avec la plupart des
navigateurs passés, présents, futurs et sans ambiguïté. Chaque page est
complètement indépendante et contient ses propres instructions CSS (42
lignes). Vous pouvez sauver un article de mon blog depuis votre
navigateur et le réouvrir n’importe où, même sans connexion. Pas de
JavaScript, pas de framework, pas de chargement dynamique, pas de fonte,
pas d’appel extérieur. Ça parait extraordinaire de nos jours, mais c’est
tellement simple à gérer que je me demande encore pourquoi on se casse
la tête à apprendre et maintenir des couches de framework. Penser la
pérennité peut avoir des bénéfices immédiats !
Autre point: je prends le plus grand soin à ce que les URLs de mes posts
ne changent pas. Un lien vers un article devrait rester valide aussi
longtemps que le nom de domaine existera.
La dernière version de Ploum.nethttps://ploum.net/2022-12-04-fin-du-blog-et-derniere-version.html
Sources disponibles et distribuées
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Les sources de mon blog sont écrites au format Gemtext, le format
utilisé sur le réseau Gemini. La particularité de ce format est qu’il
s’agit essentiellement de texte pur. Aussi longtemps que nous aurons des
ordinateurs, ces fichiers pourront être lus.
Mes billets ainsi que le générateur Python pour créer les pages HTML
sont disponibles via Git, un outil décentralisé bien connu de tous les
développeurs et certainement appelé à exister pour les décennies qui
viennent.
La commande
> git clone https://git.sr.ht/~lioploum/ploum.net
vous donne accès à toutes les sources de mon blog, que vous pouvez
générer avec un simple "python publish.py". Cela ne nécessite aucune
dépendance particulière autre que Python3.
Mais que faire si sourcehut est indisponible ? Je me rends compte qu’il
est nécessaire que je pousse mes sources sur plusieurs miroirs.
Miroirs ?
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Parlons de miroirs justement. Une copie de mon site, version web et
gemini, est disponible sur rawtext.club.
Ploum.net sur Rawtext.club (http)
https://rawtext.club/~ploum/Ploum.net sur rawtext.club (gemini)
gemini://rawtext.club/~ploum/
Mais ce miroir est « accidentel ». Rawtext.club est un petit serveur
géré par un passionné que je remercie chaleureusement. C’est grâce à lui
que j’ai pu explorer l’univers Gemini. Je ne peux lui imposer un
hébergement sérieux ni compter sur sa pérennité.
Sebsauvage me fait également l’immense honneur de maintenir une copie de
mes publications, pour le cas où je serais forcé de retirer du contenu:
Ploum sur streisand.me
https://sebsauvage.net/streisand.me/ploum/
Pour le futur, je réalise aujourd’hui qu’il serait pertinent que je
trouve un hébergeur autre que Sourcehut, pouvant être synchronisé par
Git et offrant également un hébergement Gemini. Je pourrais rediriger
ploum.be ou ploum.eu vers ce serveur de secours.
Les mailing-lists
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Si j’avoue préférer le RSS pour mon usage personnel, force est de
constater que les mailing-listes offrent un avantage : vous gardez une
copie de tous les anciens billets dans votre boîte mail. Chaque nouvel
abonné est donc, sans le savoir, un nouvel archiviste de mes écrits.
Mailing-list en français
https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/fr.listes.ploum.net/
Mailing-list en anglais
https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/en.listes.ploum.net/
J’envoie d’ailleurs une version "text-only" (pas de HTML) sur une
seconde mailing-list dont les archives sont publiques. Défaut majeur :
contrairement aux mailing-listes précitées, ces archives text-only sont
hébergées par… Sourcehut, le même hébergeur que mon blog !
Mailing-list text-only en français
https://lists.sr.ht/~lioploum/fr
Mailing-list text-only en anglais
https://lists.sr.ht/~lioploum/en
Le futur
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Le protocole Internet (IP) a été conçu à une époque où on pensait que le
stockage serait toujours très coûteux, mais que la bande passante serait
essentiellement gratuite. Le principe d’IP est donc de transmettre aussi
vite que possible les paquets de données et de tout oublier
instantanément.
En conséquence, les protocoles s’appuyant sur IP, comme Gemini et HTTPS,
sont particulièrement fragiles. La perte d’un seul serveur peut
signifier la disparition définitive de sites entiers.
De nouveaux protocoles ou de nouveaux usages sont nécessaires pour
transformer Internet depuis le simple "échange de données temps réels"
en "archive planétaire". Cet usage d’archive planétaire va bien entendu
à l’encontre des intérêts financiers actuels qui souhaitent que vous
payiez, directement ou à travers la pub, à chaque fois que vous
consultez le même contenu. Le « copyright », comme son nom l’indique,
cherche à empêcher toute copie ! Mais, petit à petit, des solutions
apparaissent, qu’elles soient nouvelles comme IPFS ou qu’il s’agissent
de réflexion sur une utilisation de technologies préexistantes.
Présentation de IPFS sur Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/InterPlanetary_File_System
Low budget P2P content distribution with git (solderpunk)
gemini://zaibatsu.circumlunar.space/~solderpunk/gemlog/low-budget-p2p-content-distribution-with-git.gmi
Tout cela est encore expérimental, mais je garde un œil et réfléchis à
rendre ploum.net disponible sur IPFS.
Le présent
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La pérennité des contenus en ligne est une quête complexe et longue
haleine. Je vous invite à y penser pour vos propres créations. Que
voulez-vous qu’il reste de vous en ligne dans quelques années ?
Paradoxalement, nous laissons trop de traces involontaires (des données
personnelles, des commentaires écrits sous le coup de la colère, des
critiques de produits sur Amazon) et nous perdons trop facilement ces
œuvres auxquelles nous accordons de l’importance (combien de vidéos
personnelles disparaitront avec la fin inéluctable de Youtube ?). J’ai
moi-même le regret d’avoir perdu beaucoup de textes rédigés et publiés
un peu partout avant l’existence de ce blog ou cédant aux sirènes de la
mode, postés sur Google+, Facebook ou Medium.
J’en ai retenu une leçon majeure : on ne sait a priori pas quels
contenus seront importants pour notre futur moi. Il est également
primordial de dater les contenus. Avec l’année. Je ne compte plus les
fiches de notes que j’ai retrouvées, mais que je peux ne raccrocher à
rien, ne sachant même pas estimer à quelle année voire à quel lustre le
texte se rapporte. Cette leçon est également ce qui motive ma tentative
de pérennisation de mes écrits : je n’ai pas l’impression de n’avoir
jamais écrit quelque chose qui mérite une préservation éternelle. Mais
un historien du futur pourrait peut-être un jour trouver dans les écrits
de ce blogueur obscur et oublié une information cruciale, glissée par
hasard dans un billet et lui permettant de comprendre certains paradoxes
de notre époque.
Pour cette mission, la technologie qui semble la plus robuste, la plus
résistante pour traverser les siècles voire les millénaires reste le
livre. Livres que ma famille collectionne et accumule dans tous les
coins de notre logis. Des milliers d’auteurs, vivants ou morts,
mondialement connus ou obscurs, qui continuent chaque jour à nous
parler !
Si vous souhaitez m’aider dans ma quête de pérennité, je vous invite à
acquérir, prêter, offrir ou abandonner sur un banc mes livres.
Car lorsque les ordinateurs seront éteints, seuls continueront à nous
bercer, à nous parler les mots gravés sur le papier, ces éphémères
imaginaires survivants à la prétention d’immortalité des corps
décomposés.