DE LA DIFFICULTÉ DE CLASSIFIER LA LITTÉRATURE (ET DE L’OCCASION DE SE
RENCONTRER AUX IMAGINALES)
by Ploum on 2023-05-24
https://ploum.net/2023-05-24-classification-litterature-et-epinal.html
La sérendipité de mon bibliotaphe m’a fait enchainer deux livres entre
lesquels je n’ai pas pu m’empêcher de voir une grande similitude. «
L’apothicaire » d’Henri Lœvenbruck et « Hoc Est Corpus » de Stéphane
Paccaud.
L’Apothicaire, Henri Lœvenbruck
https://www.henriloevenbruck.com/lapothicaire/
Hoc Est Corpus, Stéphane Paccaud
https://pvh-editions.com/shop/romans-contes/263-hoc-est-corpus-la-geste-de-…
Si l’un conte les aventures du très moderne Andreas Saint-Loup dans le
Paris de Philippe le Bel, l’autre nous emmène dans la Jérusalem de
Baudouin le Lépreux. Tous les deux sont des romans historiques
extrêmement documentés, réalistes, immersifs et néanmoins mâtinés d’une
subtile dose de fantastique. Fantastique qui ne l’est que pas le style
et pourrait très bien se révéler une simple vue de l’esprit.
Dans les deux cas, l’écriture est parfaitement maitrisée, érudite tout
en restant fluide et agréable. Lœvenbruck se plait à rajouter des
tournures désuètes et du vocabulaire ancien, lançant des phrases et des
répliques anachroniques pleines d’humour. Paccaud, de son côté, alterne
rapidement les narrateurs, allant jusqu’à donner la parole aux murs
chargés d’humidité ou au vent du désert.
Bref, j’ai adoré tant le style que l’histoire et je recommande
chaudement ces deux lectures même si le final m’a chaque fois légèrement
déçu, tuant toute ambiguïté de réalisme et rendant le fantastique
inéluctablement explicite. J’aurais préféré garder le doute jusqu’au
bout.
D’ailleurs, Henri Lœvenbruck, Stéphane Paccaud et moi-même serons ce
week-end à Épinal pour les imaginales. N’hésitez pas à venir faire
coucou et taper la causette. C’est la raison même de ce genre
d’événements. (suivez-nous sur Mastodon pour nous trouver plus
facilement).
Lœevenbruck sur Mastodon
https://toot.portes-imaginaire.org/@loevenbruck
Ploum sur Mastodon
https://mamot.fr/@ploum
De la classification de la littérature
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S’il fallait les classer, ces deux livres devraient clairement se
trouver côte à côte dans les rayons d’une bibliothèque. Des romans
historiques avec des éléments fantastiques. D’ailleurs, Lœvenbruck m’a
asséné : « Une histoire n’est pas fantastique. Elle comporte des
éléments de fantastique ! » (citation approximative,).
Mais voilà. Henri Lœvenbruck est réputé comme un auteur de polars. Vous
trouverez donc « L’Apothicaire » dans la section polar de votre
librairie. Quand à « Hoc Est Corpus », il est paru dans la collection
Ludomire chez PVH éditions, une collection (où je suis moi-même édité)
spécialisée dans la « littérature de genre », à savoir la SFFF pour
« Science-Fiction Fantasy Fantastique ».
Quelle importance, me demandez-vous ? On s’en fout de la classification.
Pas du tout !
Car, comme je l’ai appris à mes dépens, le lectorat grand public ne veut
pas entendre parler de science-fiction ou de fantastique. Le simple fait
de voir le mot sur la couverture fait fuir une immense quantité de
lecteurs qui, pourtant, en lit régulièrement sous la forme de polars. La
plupart des librairies générales cachent pudiquement sous une étagère
quelques vieux Asimov qui prennent la poussière et ne veulent pas
entendre parler de science-fiction moderne. Quelques échoppes tentent de
faire exception, comme « La boîte à livre » à Tours, qui a un magnifique
rayon ou le salon de thé/librairie « Nicole Maruani », près de la place
d’Italie à Paris, qui m’a fait la surprise de mettre mon livre à
l’honneur dans son étagère de SF (et qui fait du super bon brownie,
allez-y de ma part !).
Librairie Maruani, boulevard Vincent Auriol, Paris
http://www.librairiemaruani.fr/
Mais Ploum, si le mot « science-fiction » est mal considéré, pourquoi ne
pas mettre simplement ton roman dans la catégorie polar ? Après tout,
Printeurs est clairement un thriller.
Parce que la niche des lecteurs de science-fiction est également
étanche. Elle se rend dans des lieux comme « La Dimension Fantastique »,
près de la gare du Nord à Paris. Un endroit magique ! J’avais les yeux
qui pétillaient en survolant les rayons et en écoutant l’érudition du
libraire.
La dimension fantastique sur OpenStreetMap
https://www.openstreetmap.org/node/3401591465
La SF est-elle condamnée à être cantonnée dans sa niche ? À la Dimension
Fantastique, le libraire m’a confié qu’il espérait que le genre gagne
ses lettres de noblesse, qu’il voyait une évolution ces dernières
années.
Pour Bookynette, l’hyperactive présidente de l’April et directrice de la
bibliothèque jeunesse « À livr’ouvert », le genre à la mode est le
« Young Adult ». Et c’est vrai : dès que le protagoniste est un·e
adolescent·e, soudainement le fantastique devient acceptable (Harry
Potter) et la pure science-fiction dystopique devient branchée (Hunger
Games).
Librairie jeunesse À livr’ouvert (boulevard Voltaire, Paris)
https://www.alivrouvert.fr/
Bookynette sur Mastodon
https://framapiaf.org/@bookynette
Bref, la classification a son importance. Au point de décider dans
quelle librairie vous allez être. Étant un geek de science-fiction, j’ai
l’impression que d’en écrire. Mais j’ai la prétention de penser que
certains de mes textes vont au-delà de la SF, qu’ils pourraient parler à
un public plus large et leur donner des clés pour comprendre un monde
qui n’est pas très éloigné de la science-fiction d’il y a quelques
décennies. Surtout les genres dystopiques. En pire.
La science-fiction ne parle pas et n’a jamais parlé du futur. Elle est
un genre de littérature essentiel pour comprendre le présent. Peut-être
doit-elle parfois se camoufler pour briser certains a priori ?
On se retrouve sur le stand PVH aux Imaginales pour discuter de tout
ça ?
LA FAUSSE BONNE IDÉE DE LA LIVRAISON À DOMICILE
by Ploum on 2023-05-15
https://ploum.net/2023-05-15-livraison-a-domicile.html
J’ai reçu ce matin un email me précisant qu’une livraison allait être
faite à mon domicile entre 12h51 et 13h51.
Me voilà devant le fait accompli. Je peux tout à fait rater cette
livraison qui n’est pas urgente. Mais il est plus facile pour moi
d’adapter mon horaire aujourd’hui que pour une relivraison hypothétique
ou pour une livraison dans un point relais aléatoire. Car, pour
l’anecdote, j’habite une ville entièrement piétonnière. Mais le seul
point Mondial Relay de la ville se trouve dans une station d’essence
située entre les deux bandes d’un boulevard fréquenté et sans aucune
manière d’y accéder à pied sauf à traverser des buissons puis à marcher
200m le long de cette route pour automobiles et de la traverser.
Consultant ma montre, je m’arrange pour arriver à 12h45 chez moi. Une
camionnette de livraison est garée, moteur tournant. J’interpelle le
chauffeur. Il regarde sa montre et me dit qu’il ne peut pas me donner le
paquet avant 12h51, qu’il doit attendre. Moteur tournant.
Comme beaucoup d’inventions humaines, la livraison à domicile semblait
une bonne idée. Parce que nous n’avions pas envisagé les impacts.
Nous croyions pouvoir consommer confortablement assis dans notre canapé.
Nous avons oublié que nous étions souvent hors de chez nous, pour le
travail ou pour le plaisir. Nous avons oublié le service que nous
rendaient les commerçants de proximité, remplacés dans tous les domaines
par de la grande distribution dans des points de plus en plus éloignés.
Nous avons oublié que, parfois, nous n’avons pas envie d’être dérangés.
Comme cette fameuse journée de travail à domicile durant le confinement
où j’ai reçu quatre livreurs de trois entreprises différentes sur une
seule après-midi. Le tout pour me livrer une seule et unique commande
Amazon dans laquelle j’avais tenté de regrouper tous mes achats.
Nourriture, vêtements, livres, articles de sports. Ce qui se trouve dans
ces magasins, la plupart du temps uniquement accessibles en voiture, est
le strict minimum, le modèle moyen, les marques standard. Pour tout le
reste ? Commandez sur Internet. Que dis-je, sur Amazon !
Amazon qui, soit dit en passant, impose à ses fournisseurs de ne pas
vendre moins cher ailleurs, mais qui prend une telle marge que les
producteurs, pour pouvoir être sur Amazon, sont obligés de monter leurs
prix… partout ! Amazon qui n’hésite pas à copier un produit qui se vend
bien et qui impose également aux producteurs de payer pour apparaître
dans les résultats.
Au final, des livreurs payés au lance-pierre sont obligés de faire un
nombre ahurissant de livraisons par jour en respectant des horaires à la
minute près, forcés d’attendre ou d’accélérer en fonction des
algorithmes. Tout cela pendant que nous sommes forcés de rester chez
nous pour attendre la livraison, pour guetter par la fenêtre le livreur
qui dépose un papier arguant de notre absence alors que nous étions
derrière la porte.
Enfin, nous ouvrons le carton contenant des biens que nous n’avons
jamais vus, que nous n’avons jamais essayés, que nous n’aurions peut-
être pas achetés si nous n’avions pas été séduits par la photo
subtilement éclairée, mais que nous gardons quand même devant la
difficulté du renvoi ou de l’échange, lorsque celui-ci n’est tout
simplement pas à un coût prohibitif.
Des biens surpayés pour permettre aux producteurs de vivre avec les
marges d’Amazon et des entreprises de livraison. Des biens désormais
introuvables en magasin.
La livraison à domicile paraissait une bonne idée. Elle bénéficie à
certains. Mais ce ne sont ni les livreurs, ni les vendeurs de magasin,
ni même les clients.
LES RÉSEAUX SOCIAUX SONT DES MALADIES MENTALES
by Ploum on 2023-05-12
https://ploum.net/2023-05-12-reseaux-sociaux-maladie-mentale.html
La nuit passée, j’ai été réveillé par de la techno tonitruante. Étonné
par cette cause de bruit soudaine, j’ai regardé par ma fenêtre et vu une
voiture garée en face de chez moi.
Au volant, une jeune femme se filmait en train de secouer la tête comme
si elle s’amusait follement, agitant le bras libre dans tous les sens.
Exactement trois minutes après le début de la nuisance sonore, elle a
coupé la vidéo, à coupé la musique et s’est remis à scroller sur son
téléphone en silence, la nuque penchée.
Je n’ai pu ressentir qu’une bouffée de pitié pour cette jeune femme
seule en pleine nuit, enfermée dans sa voiture et qui ressentait le
besoin de faire savoir à d’autres qu’elle s’amusait, même s’il fallait
pour cela réveiller tout le quartier. La brève durée de cet épisode m’a
fait soupçonner une vidéo Tiktok.
En me recouchant, j’ai pensé à cette jeune maman que nous avons aperçue,
mon épouse et moi-même, la semaine précédente.
Nous étions sur un chemin surplombant de quelques mètres une petite
plage hérissée de rochers. Un parapet séparait le chemin du vide. Sur ce
parapet se tenait, debout, une fillette de trois ou quatre ans qui
tenait la main de sa mère. La mère a lâché sa fille, a pris son appareil
photo pour prendre une photo tout en lui recommandant de ne pas bouger.
Mon cœur de père s’est arrêté. J’ai hésité à agir, mais j’ai très vite
pris conscience que le moindre mouvement brusque de ma part pouvait
déclencher une catastrophe. Que je n’étais émotionnellement pas capable
de tenter de raisonner une mère capable de mettre la vie de son enfant
en danger pour une photo Instagram.
J’ai passé mon chemin en fermant très fort les yeux.
Je pensais que les réseaux sociaux étaient des addictions, des dangers
pour notre concentration. Mais pas seulement. Je pense que ce sont
désormais des maladies mentales graves. Que leurs utilisateurs (dont je
fais partie avec Mastodon) doivent être vus comme des personnes malades
dès le moment où elles modifient leur comportement dans le seul et
unique objectif de faire un post.
Les principales victimes sont les adolescents et les jeunes adultes. Et
loin de les aider, le système scolaire les enfonce, de plus en plus
d’enseignants et d’écoles utilisant des "apps" pour avoir l’air de
suivre une pédagogie moderne et forçant leurs élèves à avoir un
téléphone (et je ne parle pas des cours "d’informatique" qui forment à…
Word et PowerPoint !).
Il ne fait aucun doute que, d’ici quelques années, les smartphones
seront perçus pour le cerveau comme la cigarette l’est pour les poumons.
Mais nous sommes dans cette période où une poignée d’experts (dont je
fais partie) s’époumone face à un lobby industriel et une masse qui
"suit la mode pour avoir l’air cool", qui a peur "de ne pas être dans la
révolution informatique".
Quand je vois les ravages de la cigarette, encore aujourd’hui, je ne
peux qu’être terrorisé pour mes enfants et les générations qui nous
suivent. Car ceux qui ne sont pas atteints doivent vivre avec les
autres. Ils sont les exceptions. Ils doivent justifier de ne pas sortir
leur smartphone, de ne pas être connecté, de ne pas vouloir
s’interrompre pour une photo.
Peut-être qu’il est temps de considérer le fait de poster sur les
réseaux sociaux pour ce que c’est réellement : une action pathétique et
misérable, un espoir d’exister dans un univers factice. Un appel au
secours d’une personne malade.
Ne nous voilons pas la face : je suis tout aussi coupable que n’importe
qui d’autre. Mais promis, je me soigne…