DE L’IMPORTANCE DE COMPRENDRE CE QU’EST UNE LICENCE
by Ploum on 2023-03-14
https://ploum.net/2023-03-14-importance-des-licences.html
On entend souvent que les programmes informatiques ou les œuvres en
ligne sont publiées sous une licence. Qu’est-ce que cela signifie ? Et
en quoi est-ce important ?
Pour simplifier, dans nos sociétés, tout échange se fait suivant un
contrat. Ce contrat peut être implicite, mais il existe. Si j’achète une
pomme au marché, le contrat implicite est qu’après avoir payé, je reçois
ma pomme et je peux en faire ce que je veux.
Pour les biens matériels dits « rivaux », le contrat de vente implique
souvent un transfert de la propriété du bien. Mais il y’a parfois
d’autres clauses au contrat. Comme les garanties.
Là où les choses se corsent, c’est lorsque le bien échangé est dit
« non-rival ». C’est-à-dire que le bien peut être copié ou acheté
plusieurs fois sans impact pour les acheteurs. Dans le cas qui nous
concerne, on parle typiquement d’un logiciel ou d’une œuvre numérique
(film, livre, musique …). Il est évident que l’achat numérique ne nous
donne aucune propriété sur l’œuvre.
Il faut signaler que, pendant longtemps, la non-rivalité des biens comme
les musiques, les livres ou les films a été camouflée par le fait que le
support, lui, était un bien rival. Si j’achète un livre papier, j’en
suis propriétaire. Mais je n’ai pas pour autant les droits sur le
contenu ! Les supports numériques et Internet ont dissipé cette
confusion entre l’œuvre et le support.
Pour réguler tout cela, l’achat d’une œuvre numérique ou d’un programme
informatique est, comme tout achat, soumis à un contrat, contrat qui
stipule les droits et les obligations exactes que l’acheteur va
recevoir. La licence n’est jamais qu’un contrat type, une sorte de
modèle de contrat standard. Ce contrat, et une bonne partie de notre
société, se base sur la présupposition que, tout comme un bien rival, un
bien non-rival se doit d’avoir un propriétaire. C’est bien entendu
arbitraire et je vous invite à questionner ce principe un peu trop
souvent admis comme une loi naturelle.
Il est important de signaler que chaque transaction vient avec son
propre contrat. Il est possible de donner des droits à un acheteur et
pas à un autre. C’est d’ailleurs ce principe qui permet la pratique de «
double licence » (ou dual-licensing).
Droits et obligations définis par la licence
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Dans notre société, toute œuvre est, par défaut, sous la licence du
copyright. C’est-à-dire que l’acheteur ne peut rien faire d’autre que
consulter l’œuvre et l’utiliser à des fins personnelles. Tout autre
utilisation, partage, modification est bannie par défaut.
À l’opposé, il existe le domaine public. Les œuvres dans le domaine
public ne sont associées à aucun droit particulier : chacun peut les
utiliser, modifier et redistribuer à sa guise.
L’une des escroqueries intellectuelles majeures des absolutistes du
copyright est d’avoir réussi à nous faire croire qu’il n’y avait pas
d’alternatives entre ces deux extrêmes. Tout comme on est soit
propriétaire de la pomme, soit on n’en est pas propriétaire, la fiction
veut qu’on soit soit propriétaire d’une œuvre (détenteur du copyright),
soit rien du tout, juste bon à regarder. C’est bien entendu faux.
Si la licence est un mur d’obligations auxquelles doit se soumettre
l’acheteur, il est possible de n’en prendre que certaines briques. Par
exemple, on peut donner tous les droits à l’utilisateur sauf celui de
s’approprier la paternité d’une œuvre. Les licences BSD, MIT ou Creative
Commons By, par exemple, requièrent de citer l’auteur original. Mais on
peut toujours modifier et redistribuer.
La licence CC By-ND, elle, oblige à citer l’auteur, mais ne permet pas
de modifications. On peut redistribuer une telle œuvre.
Un point important c’est que lorsqu’on redistribue une œuvre existante,
on peut modifier la licence, mais seulement si on rajoute des
contraintes, des briques. J’ai donc le droit de prendre une œuvre sous
licence CC By, de la modifier puis de la redistribuer sous CC By-ND. Par
contre, je ne peux évidemment pas retirer des briques et faire
l’inverse. Dans toute redistribution, la nouvelle licence doit être soit
équivalente, soit plus restrictive.
Le problème de cette approche, c’est que tout va finir par se
restreindre vu qu’on ne peut que restreindre les droits des utilisateurs
! C’est d’ailleurs ce qui se passe dans des grandes entreprises comme
Google, Facebook ou Apple qui utilisent des milliers de programmes open
source gratuits et les transforment en programmes propriétaires. Un
véritable pillage du patrimoine open source !
Le copyleft ou interdiction de rajouter des briques
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C’est là que l’idée de Richard Stallman tient du génie : en inventant la
licence GPL, Richard Stallman a en effet inventé la brique
« interdiction de rajouter d’autres briques ». Vous pouvez modifier et
redistribuer un logiciel sous licence GPL. Mais la modification doit
être également sous GPL.
C’est également l’idée de la clause Share-Alike des Creative Commons.
Une œuvre publiée sous licence CC By-SA (comme le sont mes livres aux
éditions PVH) peut être modifiée, redistribuée et même revendue. À
condition d’être toujours sous une licence CC By-SA ou équivalente.
Par ironie, on désigne par « copyleft » les licences qui empêchent de
rajouter des briques et donc de privatiser des ressources. Elles ont
souvent été présentées comme « contaminantes » voire comme des
« cancers » par Microsoft, Apple, Google ou Facebook. Ces entreprises se
présentent désormais comme des grands défenseurs de l’open source. Mais
elles luttent de toutes leurs forces contre le copyleft et contre
l’adoption de ces licences dans le monde de l’open source. L’idée est de
prétendre aux développeurs open source que si leur logiciel peut être
privatisé, alors elles, grands princes, pourront l’utiliser et,
éventuellement, très éventuellement, engager le développeur ou lui payer
quelques cacahouètes.
La réalité est bien sûr aussi évidente qu’elle en a l’air : tant
qu’elles peuvent ajouter des briques privatrices aux licences, ces
monopoles peuvent continuer l’exploitation du bien commun que
représentent les logiciels open source. Elles peuvent bénéficier d’une
impressionnante quantité de travail gratuit ou très bon marché.
Le fait que ces monopoles morbides puissent continuer cette exploitation
et soient même acclamés par les développeurs exploités illustre
l’importance fondamentale de comprendre ce qu’est réellement une licence
et des implications du choix d’une licence plutôt qu’une autre.