LA FAUSSE BONNE IDÉE DE LA LIVRAISON À DOMICILE
by Ploum on 2023-05-15
https://ploum.net/2023-05-15-livraison-a-domicile.html
J’ai reçu ce matin un email me précisant qu’une livraison allait être
faite à mon domicile entre 12h51 et 13h51.
Me voilà devant le fait accompli. Je peux tout à fait rater cette
livraison qui n’est pas urgente. Mais il est plus facile pour moi
d’adapter mon horaire aujourd’hui que pour une relivraison hypothétique
ou pour une livraison dans un point relais aléatoire. Car, pour
l’anecdote, j’habite une ville entièrement piétonnière. Mais le seul
point Mondial Relay de la ville se trouve dans une station d’essence
située entre les deux bandes d’un boulevard fréquenté et sans aucune
manière d’y accéder à pied sauf à traverser des buissons puis à marcher
200m le long de cette route pour automobiles et de la traverser.
Consultant ma montre, je m’arrange pour arriver à 12h45 chez moi. Une
camionnette de livraison est garée, moteur tournant. J’interpelle le
chauffeur. Il regarde sa montre et me dit qu’il ne peut pas me donner le
paquet avant 12h51, qu’il doit attendre. Moteur tournant.
Comme beaucoup d’inventions humaines, la livraison à domicile semblait
une bonne idée. Parce que nous n’avions pas envisagé les impacts.
Nous croyions pouvoir consommer confortablement assis dans notre canapé.
Nous avons oublié que nous étions souvent hors de chez nous, pour le
travail ou pour le plaisir. Nous avons oublié le service que nous
rendaient les commerçants de proximité, remplacés dans tous les domaines
par de la grande distribution dans des points de plus en plus éloignés.
Nous avons oublié que, parfois, nous n’avons pas envie d’être dérangés.
Comme cette fameuse journée de travail à domicile durant le confinement
où j’ai reçu quatre livreurs de trois entreprises différentes sur une
seule après-midi. Le tout pour me livrer une seule et unique commande
Amazon dans laquelle j’avais tenté de regrouper tous mes achats.
Nourriture, vêtements, livres, articles de sports. Ce qui se trouve dans
ces magasins, la plupart du temps uniquement accessibles en voiture, est
le strict minimum, le modèle moyen, les marques standard. Pour tout le
reste ? Commandez sur Internet. Que dis-je, sur Amazon !
Amazon qui, soit dit en passant, impose à ses fournisseurs de ne pas
vendre moins cher ailleurs, mais qui prend une telle marge que les
producteurs, pour pouvoir être sur Amazon, sont obligés de monter leurs
prix… partout ! Amazon qui n’hésite pas à copier un produit qui se vend
bien et qui impose également aux producteurs de payer pour apparaître
dans les résultats.
Au final, des livreurs payés au lance-pierre sont obligés de faire un
nombre ahurissant de livraisons par jour en respectant des horaires à la
minute près, forcés d’attendre ou d’accélérer en fonction des
algorithmes. Tout cela pendant que nous sommes forcés de rester chez
nous pour attendre la livraison, pour guetter par la fenêtre le livreur
qui dépose un papier arguant de notre absence alors que nous étions
derrière la porte.
Enfin, nous ouvrons le carton contenant des biens que nous n’avons
jamais vus, que nous n’avons jamais essayés, que nous n’aurions peut-
être pas achetés si nous n’avions pas été séduits par la photo
subtilement éclairée, mais que nous gardons quand même devant la
difficulté du renvoi ou de l’échange, lorsque celui-ci n’est tout
simplement pas à un coût prohibitif.
Des biens surpayés pour permettre aux producteurs de vivre avec les
marges d’Amazon et des entreprises de livraison. Des biens désormais
introuvables en magasin.
La livraison à domicile paraissait une bonne idée. Elle bénéficie à
certains. Mais ce ne sont ni les livreurs, ni les vendeurs de magasin,
ni même les clients.