LECTURES : PETITE ÉCOLOGIE DE L’ÉDUCATION ET DE L’INFORMATIQUE
by Ploum on 2024-03-05
https://ploum.net/2024-03-05-lectures-education-informatique-ecologie.html
De l’importance de l’écriture manuelle
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L’écriture à la main, que ce soit avec un stylo, un crayon, un marqueur
ou ce que vous voulez est une étape primordiale dans le développement du
cerveau et dans la compréhension future de la langue écrite.
Handwriting but not typewriting leads to widespread brain connectivity:
a high-density EEG study with implications for the classroom
(
www.frontiersin.org)
https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2023…
La littérature à ce sujet semble unanime, mais l’étude suscitée va
encore plus loin en mesurant l’activité neuronale lors de l’écriture à
la main ou avec un clavier. Il n’y a pas photo : l’apprentissage de
l’écriture se fait donc d’abord, et c’est essentiel, en écrivant à la
main et en déchiffrant différentes écritures.
Ensuite, si l’outil informatique vous intéresse, je conseille très
fortement d’apprendre la dactylographie. Cela ne demande que quelques
semaines d’efforts et cela change complètement l’interaction avec un
ordinateur. Pour rappel, la dactylographie sur un clavier se base sur
deux principes fondamentaux :
Premièrement, chaque touche correspond à un doigt particulier. On
n’utilise pas les doigts au hasard.
Deuxièmement, la dactylographie doit impérativement s’apprendre à
l’aveugle. Il ne s’agit pas de connaître par cœur la disposition du
clavier ou de la visualiser. Il s’agit de créer un réflexe musculaire,
un mouvement d’un doigt particulier pour chaque lettre.
C’est comme ça que j’ai appris à taper en Bépo et c’est, je pense, le
meilleur investissement en temps que j’aie jamais fait de toute ma vie.
Le fait de taper à l’aveugle et au rythme de ma pensée a transformé
l’écriture en une véritable extension de mon cerveau. Je n’écris pas ce
à quoi je réfléchis, mes pensées se contentent d’apparaitre sur l’écran.
Le bépo sur le bout des doigts (
ploum.net)
https://ploum.net/216-le-bepo-sur-le-bout-des-doigts/index.html
Je tape tout en Bépo dans Vim car Vim me permet d’étendre les
automatismes dactylographiques aux actions sur le texte lui-même : se
déplacer, supprimer, remplacer, copier-coller. Mes enfants sont peut-
être encore jeunes pour se mettre à Vim, mais si jamais une envie de Vim
(une envim quoi) vous titille, je vous conseille le court manuel de
Vincent Jousse.
Vim pour les humains (
vimebook.com)
https://vimebook.com/fr
Digitalisation de l’éducation
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La « digitalisation » à l’aveugle des salles de classe est une hérésie
absolue. Surtout que l’immense majorité des professeurs sont
complètement incompétents en informatique et ne comprennent pas eux-
mêmes ce qu’est un ordinateur (ce qui est normal et attendu, ils n’ont
jamais été formés à cela).
Dans l’école primaire de mes enfants, ils sont tout fiers de proposer
des séances d’explications… de PowerPoint !
Alors, deux petits rappels importants :
Premièrement, apprendre à utiliser des logiciels commerciaux, ce n’est
pas de l’informatique. C’est de l’utilisation d’un outil commercial qui
n’est pas généralisable et donc foncièrement inutile sur le long terme.
Les enfants ont appris à cliquer sur deux boutons ? À la prochaine
version, les boutons seront ailleurs et les enfants n’auront aucune
connaissance intuitive de leur outil. Et c’est sans doute parce que le
professeur n’en a aucune lui-même, mais c’était le prof de l’école qui
« aime bien l’informatique », qui clique sur des .exe sans transpirer à
grosses gouttes, du coup on lui confie ce rôle.
En deuxième lieu, si vous voulez qu’un enfant se débrouille avec
n’importe quel logiciel, il y a une solution très simple : laissez-le
faire. Sérieusement, laissez-le chipoter, essayer, faire n’importe quoi.
Dans le cas du PowerPoint, je suis certain que si on laisse une classe
une heure avec le logiciel, elle en saura plus que l’adulte qui peine.
Mettez-leur en main des ordinateurs où ils ont le droit de « tout
casser ».
Après, il y’a un énorme problème avec la génération actuelle à qui on
fourgue une tablette dès la couveuse : ils n’ont jamais chipoté. Ils
sont nés avec des appareils avec des grosses icônes sur lesquelles il
suffit de cliquer pour acheter des applications. Des appareils qui sont
conçus à dessein pour empêcher de comprendre comment ils fonctionnent et
qui ne peuvent pas être « cassés ». Les outils propriétaires sont, par
essence, des boîtes noires qui se veulent arbitraires et
incompréhensibles.
Ce n’est pas de l’informatique. Ce n’est pas une connaissance utile. Ce
n’est pas le rôle de l’école de s’occuper de cela.
Je réfléchis beaucoup à une méthode d’enseignement de l’informatique. Et
j’en suis arrivé à une conclusion : apprendre les bases de
l’informatique doit se faire sans ordinateur. Il y a tant de choses
amusantes à faire sur un tableau noir : compter en binaire, écrire des
petits algorithmes, créer des groupes d’enfants appliquant chacun un
algorithme et voir ce qui se passe si on se passe des « données » dans
un ordre plutôt qu’un autre…
Le concept de boîte noire
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L’ingénieur tente d’utiliser une boîte noire avec laquelle il a appris à
interagir grâce au scientifique. Le scientifique, lui, cherche à
comprendre comment fonctionne l’intérieur de la boîte noire (qui
contient elle-même d’autres boîtes noires).
Méfiez-vous des gens qui vous vendent des boîtes noires, mais sont
étonnés à l’idée que vous demandiez ce qu’il y a à l’intérieur.
The black box (njms.ca)
gemini://njms.ca/gemlog/2024-02-23.gmi
Réseaux sociaux
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Outre comprendre l’informatique, il est vrai que les nouvelles
générations doivent apprendre à vivre dans un monde de réseaux sociaux.
Mais, une fois encore, la plupart des adultes ne comprennent rien et
tentent d’imposer leur vision étriquée de ce qu’ils n’ont pas compris.
J’écrivais qu’un véritable réseau social ne peut pas être un succès.
Tout le monde ne peut pas être dessus, sinon ce n’est plus vraiment un
réseau social.
Stop Trying to Make Social Networks Succeed (
ploum.net)
https://ploum.net/2023-07-06-stop-trying-to-make-social-networks-succeed.ht…
Winter traduit très bien ce sentiment avec ses mots : sur chaque
plateforme, nous avons une identité différente, une créativité qui
s’accompagne parfois d’une grande pudeur.
Facebook as Containment Field: Rebuilding the Partition (winter)
gemini://rawtext.club/~winter/gemlog/2024/2-26.gmi
Après tout, lorsque j’ai créé ce blog, j’ai évité consciencieusement
toute référence à mon nom officiel pour pouvoir m’exprimer sans crainte
d’être jugé par mes proches. Ce n’est que petit à petit que j’ai pu
prendre l’assurance de lier l’identité de Ploum avec celle de Lionel
Dricot. J’ai tenu deux autres sites web, aujourd’hui disparus, dont un
qui était un blog avant la lettre, sous des identités qui n’ont jamais
été liées à moi. Dans son livre « Mémoires Vives », Edward Snowden
insiste sur cet aspect multi-identitaire fondamental à sa vocation.
Aaron Swart a également utilisé ces outils pour contribuer à définir la
norme RSS en cachant qu’il était encore adolescent.
Cet apprentissage, ces libertés et ces explorations de ses propres
identités sont malheureusement complètement perdus dans la vocation des
réseaux sociaux centralisateurs qui imposent une et une seule identité.
La seule chose que les jeunes peuvent faire désormais, c’est de créer un
compte sous un faux nom "réaliste", ce qui les incite à se faire passer
pour un camarade et, de ce fait, à se porter préjudice l’un à l’autre,
au grand dam des établissements scolaires et des parents qui doivent
prendre des mesures énergiques pour dire que « Ça ne se fait pas
d’usurper l’identité d’un autre ».
Non, ça ne se fait pas. Mais ça se fait de s’inventer des identités. De
se créer des univers différents, qui interagissent dans des communautés
différentes.
Et nous avons revendu cette liberté contre la possibilité d’être fliqué
par la publicité avec l’obligation d’avoir notre vrai nom partout parce
que « c’était plus facile ».
Bloat JavaScript
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Et même sur le côté « plus facile », nous nous sommes fait avoir par le
côté « boîte noire sans cesse changeante ».
Niki, blogueur sur tonsky.me, s’est amusé à calculer la quantité de
JavaScript que chargent les sites principaux… par défaut ! Sur le
« minimaliste » Medium, c’est 3Mo. Sur LinkedIn, c’est 31Mo.
JavaScript Bloat in 2024 (tonsky.me)
https://tonsky.me/blog/js-bloat/
Pour rappel, il y a zéro JavaScript sur
ploum.net. En fait, pour un
rendu relativement similaire (du texte aligné au milieu d’un écran),
vous devriez télécharger 1000 fois plus de données pour lire un de mes
billets sur Medium et 10.000 fois plus de données pour lire un de mes
billets sur LinkedIn.
En plus du temps de téléchargement, le processeur de votre appareil
serait mis à rude épreuve pendant quelques dixièmes de secondes voire
des secondes tout court, augmentant la consommation d’électricité (de
manière significative) et vous donnant une légère impression de lenteur
ou de difficulté lors de l’affichage. Si vous avez un appareil un peu
ancien ou une connexion un peu mauvaise, ces difficultés sont
multipliées exponentiellement.
Ah oui. En plus de tout, sur Medium et LinkedIn, vous êtes complètement
pistés et les données de votre lecture vont grossir les milliers de
bases de données marketing.
Il y a même des chances que, pour lire l’article sur Medium ou LinkedIn,
vous utilisiez le mode « lecture » de votre navigateur ou d’un logiciel
quelconque. Mode qui après avoir tout téléchargé et tout calculé va
tenter d’extraire le contenu de l’article pour l’afficher dans un style
similaire à
ploum.net.
Tous ces allers et retours alors qu’il est tellement simple, en temps
que webmaster, d’offrir le texte directement, sans fioriture. De
simplifier la vie de tout le monde…
Gaspillage et sécurité
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Ces systèmes sont donc plus lourds, plus énergivores, beaucoup plus
compliqués à produire. Pourquoi les produit-on ?
Keynote Touraine Tech 2023 : Pourquoi ? (
ploum.net)
https://ploum.net/2023-03-30-tnt23-pourquoi.html
Mais ce n’est pas tout ! Leur complexité augmente la surface d’attaque
potentielle et donc le nombre de failles de sécurité. Une joie pour les
script-kiddies. Sauf que plus besoin des script-kiddies, les
intelligences artificielles peuvent désormais automatiquement exploiter
les failles de sécurité.
Schneier on Security (
www.schneier.com)
https://www.schneier.com/blog/archives/2024/02/ais-hacking-websites.html/
On va donc avoir, d’une part, des sites de spam/SEO générés
automatiquement et, d’autre part, des sites légitimes qui se sont fait
pirater et sur lesquels a été injecté du contenu spam/SEO.
Voilà, voilà, ne me dites pas que je ne vous avais pas prévenu.
Splitting the Web (
ploum.net)
https://ploum.net/2023-08-01-splitting-the-web.html
Écologie
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Le plus difficile, dans tout cela, c’est certainement la pression
sociale. Si on aime vivre en ermite comme moi, c’est simple de refuser
Whatsapp, Google. Mais lorsqu’on est ado, on se fout de ces principes.
On veut faire partie du groupe. Avoir un iPhone. Être sur Tiktok. Jouer
au dernier jeu à la mode en parlant du dernier Youtubeur sponsorisé par
une marque d’alcool ou de tabac. Porter des fringues de marque produit
par des enfants dans des caves en Thaïlande.
Pour l’adolescence, les préceptes moraux et les interdictions sont là
pour être contournés (et c’est une bonne chose). Tout ce que nous
pouvons offrir, c’est l’éducation. La compréhension des enjeux et des
conséquences des actes posés dans leur univers de vie.
Bref, dans l’informatique comme dans tout autre domaine, nous devons
enseigner l’écologie.
Mais encore faut-il que nous la comprenions nous-mêmes.
Nous vivons dans un monde où l’eau de pluie est désormais contaminée par
des polluants dangereux… partout sur la planète ! Il n’existe plus une
goutte d’eau de pluie qui soit considérée comme potable.
Rainwater unsafe to drink due to chemicals: study (
phys.org)
https://phys.org/news/2022-08-rainwater-unsafe-due-chemicals.html
Alors, peut-être que nous devons accepter n’avoir pas de leçons
écologiques à donner à nos enfants…