IL N’EST PLUS POSSIBLE DE FAIRE DE LA PHILOSOPHIE SANS FAIRE DE LA
SCIENCE-FICTION
by Ploum on 2023-06-10
https://ploum.net/2023-06-10-philosophie-sf.html
Au détour d’une conversation à Épinal, l’auteur et philosophe Xavier
Mauméjean me glissa cette phrase curieuse : « Aujourd’hui, il n’est plus
possible de faire de la philosophie sans faire de la science-fiction ».
Interpelé, je retournai des jours durant cette phrase dans mon esprit
avant que l’évidence ne m’apparût.
Le présent a l’épaisseur mathématique d’une droite, la consistance d’un
point. Il est insaisissable, mouvant. À ce titre, il n’existe pas de
littérature du présent. L’humain ne peut écrire que sur deux sujets : le
passé et le futur. Les deux étant complémentaires.
Lire sur le passé nous édifie sur la nature humaine, sur notre place
dans le monde, dans la civilisation. Cela démystifie, et c’est
essentiel, notre univers. Le passé nous enseigne les lois scientifiques.
Se projeter dans le futur nous fait réfléchir aux conséquences de nos
actes, nous fait peser nos choix. Or il n’y a pas de littérature du
futur sans imaginaire. Le futur n’est, par définition, qu’imagination.
Un imaginaire qui obéit à des lois, les lois scientifiques susnommées.
Réfléchir au futur, c’est donc faire de la science-fiction.
La science-fiction, sous toutes ses formes, est la clé de notre capacité
d’influencer le monde, l’essence même de notre survie.
Mais attention aux étiquettes. Il serait tentant de penser qu’un livre
se passant dans le passé parle du passé et un livre se passant dans le
futur parle du futur. C’est bien entendu simpliste et trompeur. Tant de
livres historiques nous emmènent à réfléchir à notre futur, à notre être
et à notre devenir. Un livre peut se passer en l’an 3000 et ne brasser
que du vent.
Malgré son importance vitale, la science-fiction a toujours mauvaise
presse, est reléguée aux étagères les moins accessibles des librairies,
est rejetée par les lecteurs.
Refuser l’étiquette « science-fiction » n’est-il pas le symptôme d’une
peur de se projeter dans le futur ? D’affronter ce qui nous semble
inéluctable ? Mais tant que nous aurons de l’imagination, rien ne sera
inéluctable. Le futur n’a qu’une constante : il est la conséquence de
nos actions.
Pour reprendre les mots de Vinay Gupta, le futur est un pays étranger.
Un pays vers lequel nous nous contentons aujourd’hui d’envoyer nos
déchets, un pays dont nous tentons de détruire les ressources, comme si
nous étions en guerre. Un pays où vivent nos enfants.
Peut-être est-il temps de faire la paix avec le futur. D’entretenir de
bonnes relations diplomatiques. Des relations épistolaires qui portent
un nom : la science-fiction.
Mais peut-être ce nom est-il trompeur. Peut-être que la science-fiction
n’existe pas. Peut-être que toute littérature est en soi, un ouvrage de
science-fiction.
On ne peut écrire sans philosopher. On ne peut philosopher sans faire de
la science-fiction. On ne peut être humain sans faire la paix avec le
futur.