LA GRENOUILLE DANS LA BOUILLOIRE QUI VOULAIT QUE RIEN NE CHANGE
by Ploum on 2023-06-04
https://ploum.net/2023-06-04-grenouille-qui-voulait-que-rien-ne-change.html
Nous imaginons, rêvons ou frissonnons à l’idée de changements brusques :
le fameux « grand soir », les catastrophes naturelles ou politiques… Et
nous oublions que les évolutions sont progressives, insidieuses.
L’extrême droite dure néonazie n’est que rarement entrée ouvertement au
gouvernement en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais la
plupart des gouvernements se veulent aujourd’hui des coalitions
« centristes ». Au centre de quoi ? De cette extrême droite dure et de
la droite libérale. Bref, ce qui aurait été considéré comme de l’extrême
droite il y a une ou deux décennies.
Les médias d’extrême droite ne sont jamais devenus grand public. Mais
Twitter, l’un des médias les plus influents du monde, est devenu un pur
média d’extrême droite soutenu par tous ceux qui l’alimentent. Les
médias nationaux, eux, appartiennent et obéissent dans une écrasante
majorité à des milliardaires rarement connus pour être progressistes (on
ne devient pas milliardaire sans être complètement psychopathe).
Même les plus écologistes parlent du futur, de la catastrophe qui arrive
« si on ne fait rien ». Mais elle n’arrive pas la catastrophe. Nous
sommes en plein dedans. La pollution de l’air tue, en Europe, chaque
année des centaines de milliers de personnes. Au niveau mondial, si j’en
crois des chiffres rapidement moyennés sur le web, la pollution de l’air
est l’équivalent de deux pandémies de COVID. Chaque année ! Nos enfants
sont asthmatiques. Ils souffrent. Les océans sont remplis de déchets.
Nous sommes en plein cœur de la catastrophe. Mais nous l’attendons.
C’est d’ailleurs pour ça que le nucléaire fait tellement débat : il nous
promet une catastrophe ! Le charbon, lui, nous plonge en plein dedans et
tout le monde s’en fout.
Dans le cultissime « Planète à gogos », Pohl et Kornbluth tentaient de
nous alerter sur ce pseudolibéralisme débridé qui mène mécaniquement à
un contrôle total de la société par quelques monopoles. C’est déjà le
cas sur Internet ou la jeune génération ne connait qu’une unique
alternative à Méta (Facebook,Instagram,Whatsapp) : Tiktok. Les milliards
d’internautes n’ont aucune idée de comment tout cela fonctionne, ils
obéissent aveuglément à quelques grandes sociétés. Les militants de tout
poil ne connaissent plus qu’une manière de s’organiser : créer une page
Facebook ou un groupe Whatsapp. De même pour les quelques petits
magasins indépendants qui tentent de survivre à la taxe Visa/Mastercard
qui leur est imposée, à la guerre au cash menée par les gouvernements,
aux tarifs exorbitants imposés par des fournisseurs monopolistiques. Ils
perdent pied et ne voient pas d’autres solutions que de… créer une page
Facebook.
Facebook dont les algorithmes sont très similaires à Twitter, Facebook
qui a permis l’ascension de Trump au pouvoir et qui est, il ne faut pas
se le cacher, d’extrême droite et monopolistique. Par essence.
Toutes ces catastrophes ne sont pas hypothétiques. Elles sont actuelles,
sous nos yeux. Elles sont liées. On ne peut pas militer pour le social
sur Twitter. On ne peut pas être écologiste sur Facebook. On ne peut pas
lutter contre les monopoles en fumant des clopes de chez Philip Morris.
On ne traite pas un cancer généralisé en allant voir un spécialiste de
l’estomac et en prétendant que les autres organes ne nous intéressent
pas.
Mais personne n’est parfait. Nous avons tous nos contradictions. Nous
avons tous nos obligations. Nous avons le droit d’être imparfaits. Nous
ne pouvons pas être spécialistes en tout.
L’important pour moi est d’en être conscient. De ne pas nous
autojustifier dans nos comportements morbides. Soyons responsables de
nos actions, soyons honnêtes avec nous-mêmes. On a le droit de craquer
(moi c’est le chocolat !). Mais on n’a pas le droit de prétendre qu’un
craquage est « sain ». On a le droit d’avoir un compte Whatsapp. On n’a
pas le droit de prendre pour acquis que tout le monde en a un.
Chaque année, je dis à mes étudiants qui vont sortir de polytechnique
(donc avec d’excellentes perspectives d’emploi) : « Si vous qui n’avez
aucun souci à vous faire pour trouver de l’emploi ne faites pas des
choix moraux forts, qui les fera ? N’acceptez pas de contrevenir à votre
propre morale ! ».
Et puis je me replonge dans les différentes révolutions historiques. Et
je réalise que les changements viennent rarement de ceux qui avaient le
choix, de ceux qui pouvaient se permettre. Ceux-là étaient, le plus
souvent, corrompus par le système. Le changement vient de ceux qui n’ont
pas le choix et le prennent quand même. De ceux qui risquent tout. Et le
perdent.
Je réalise que je suis moi-même enfoncé dans un petit confort bourgeois.
Que je protège égoïstement ma petite famille et mon petit confort. Qu’à
part théoriser et gloser sur mon blog, ce qui me plait et valorise mon
ego, je ne fais rien. Je sais même pas quoi faire.
Ça y’est, j’ai passé le cap. Nous sommes au milieu d’une catastrophe et
j’ai tout intérêt à ce que rien ne change.