LECTURES : PETITE ÉCOLOGIE DE L’ÉDUCATION ET DE L’INFORMATIQUE
by Ploum on 2024-03-05
https://ploum.net/2024-03-05-lectures-education-informatique-ecologie.html
De l’importance de l’écriture manuelle
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L’écriture à la main, que ce soit avec un stylo, un crayon, un marqueur
ou ce que vous voulez est une étape primordiale dans le développement du
cerveau et dans la compréhension future de la langue écrite.
Handwriting but not typewriting leads to widespread brain connectivity:
a high-density EEG study with implications for the classroom
(www.frontiersin.org)
https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2023…
La littérature à ce sujet semble unanime, mais l’étude suscitée va
encore plus loin en mesurant l’activité neuronale lors de l’écriture à
la main ou avec un clavier. Il n’y a pas photo : l’apprentissage de
l’écriture se fait donc d’abord, et c’est essentiel, en écrivant à la
main et en déchiffrant différentes écritures.
Ensuite, si l’outil informatique vous intéresse, je conseille très
fortement d’apprendre la dactylographie. Cela ne demande que quelques
semaines d’efforts et cela change complètement l’interaction avec un
ordinateur. Pour rappel, la dactylographie sur un clavier se base sur
deux principes fondamentaux :
Premièrement, chaque touche correspond à un doigt particulier. On
n’utilise pas les doigts au hasard.
Deuxièmement, la dactylographie doit impérativement s’apprendre à
l’aveugle. Il ne s’agit pas de connaître par cœur la disposition du
clavier ou de la visualiser. Il s’agit de créer un réflexe musculaire,
un mouvement d’un doigt particulier pour chaque lettre.
C’est comme ça que j’ai appris à taper en Bépo et c’est, je pense, le
meilleur investissement en temps que j’aie jamais fait de toute ma vie.
Le fait de taper à l’aveugle et au rythme de ma pensée a transformé
l’écriture en une véritable extension de mon cerveau. Je n’écris pas ce
à quoi je réfléchis, mes pensées se contentent d’apparaitre sur l’écran.
Le bépo sur le bout des doigts (ploum.net)
https://ploum.net/216-le-bepo-sur-le-bout-des-doigts/index.html
Je tape tout en Bépo dans Vim car Vim me permet d’étendre les
automatismes dactylographiques aux actions sur le texte lui-même : se
déplacer, supprimer, remplacer, copier-coller. Mes enfants sont peut-
être encore jeunes pour se mettre à Vim, mais si jamais une envie de Vim
(une envim quoi) vous titille, je vous conseille le court manuel de
Vincent Jousse.
Vim pour les humains (vimebook.com)
https://vimebook.com/fr
Digitalisation de l’éducation
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La « digitalisation » à l’aveugle des salles de classe est une hérésie
absolue. Surtout que l’immense majorité des professeurs sont
complètement incompétents en informatique et ne comprennent pas eux-
mêmes ce qu’est un ordinateur (ce qui est normal et attendu, ils n’ont
jamais été formés à cela).
Dans l’école primaire de mes enfants, ils sont tout fiers de proposer
des séances d’explications… de PowerPoint !
Alors, deux petits rappels importants :
Premièrement, apprendre à utiliser des logiciels commerciaux, ce n’est
pas de l’informatique. C’est de l’utilisation d’un outil commercial qui
n’est pas généralisable et donc foncièrement inutile sur le long terme.
Les enfants ont appris à cliquer sur deux boutons ? À la prochaine
version, les boutons seront ailleurs et les enfants n’auront aucune
connaissance intuitive de leur outil. Et c’est sans doute parce que le
professeur n’en a aucune lui-même, mais c’était le prof de l’école qui
« aime bien l’informatique », qui clique sur des .exe sans transpirer à
grosses gouttes, du coup on lui confie ce rôle.
En deuxième lieu, si vous voulez qu’un enfant se débrouille avec
n’importe quel logiciel, il y a une solution très simple : laissez-le
faire. Sérieusement, laissez-le chipoter, essayer, faire n’importe quoi.
Dans le cas du PowerPoint, je suis certain que si on laisse une classe
une heure avec le logiciel, elle en saura plus que l’adulte qui peine.
Mettez-leur en main des ordinateurs où ils ont le droit de « tout
casser ».
Après, il y’a un énorme problème avec la génération actuelle à qui on
fourgue une tablette dès la couveuse : ils n’ont jamais chipoté. Ils
sont nés avec des appareils avec des grosses icônes sur lesquelles il
suffit de cliquer pour acheter des applications. Des appareils qui sont
conçus à dessein pour empêcher de comprendre comment ils fonctionnent et
qui ne peuvent pas être « cassés ». Les outils propriétaires sont, par
essence, des boîtes noires qui se veulent arbitraires et
incompréhensibles.
Ce n’est pas de l’informatique. Ce n’est pas une connaissance utile. Ce
n’est pas le rôle de l’école de s’occuper de cela.
Je réfléchis beaucoup à une méthode d’enseignement de l’informatique. Et
j’en suis arrivé à une conclusion : apprendre les bases de
l’informatique doit se faire sans ordinateur. Il y a tant de choses
amusantes à faire sur un tableau noir : compter en binaire, écrire des
petits algorithmes, créer des groupes d’enfants appliquant chacun un
algorithme et voir ce qui se passe si on se passe des « données » dans
un ordre plutôt qu’un autre…
Le concept de boîte noire
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L’ingénieur tente d’utiliser une boîte noire avec laquelle il a appris à
interagir grâce au scientifique. Le scientifique, lui, cherche à
comprendre comment fonctionne l’intérieur de la boîte noire (qui
contient elle-même d’autres boîtes noires).
Méfiez-vous des gens qui vous vendent des boîtes noires, mais sont
étonnés à l’idée que vous demandiez ce qu’il y a à l’intérieur.
The black box (njms.ca)
gemini://njms.ca/gemlog/2024-02-23.gmi
Réseaux sociaux
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Outre comprendre l’informatique, il est vrai que les nouvelles
générations doivent apprendre à vivre dans un monde de réseaux sociaux.
Mais, une fois encore, la plupart des adultes ne comprennent rien et
tentent d’imposer leur vision étriquée de ce qu’ils n’ont pas compris.
J’écrivais qu’un véritable réseau social ne peut pas être un succès.
Tout le monde ne peut pas être dessus, sinon ce n’est plus vraiment un
réseau social.
Stop Trying to Make Social Networks Succeed (ploum.net)
https://ploum.net/2023-07-06-stop-trying-to-make-social-networks-succeed.ht…
Winter traduit très bien ce sentiment avec ses mots : sur chaque
plateforme, nous avons une identité différente, une créativité qui
s’accompagne parfois d’une grande pudeur.
Facebook as Containment Field: Rebuilding the Partition (winter)
gemini://rawtext.club/~winter/gemlog/2024/2-26.gmi
Après tout, lorsque j’ai créé ce blog, j’ai évité consciencieusement
toute référence à mon nom officiel pour pouvoir m’exprimer sans crainte
d’être jugé par mes proches. Ce n’est que petit à petit que j’ai pu
prendre l’assurance de lier l’identité de Ploum avec celle de Lionel
Dricot. J’ai tenu deux autres sites web, aujourd’hui disparus, dont un
qui était un blog avant la lettre, sous des identités qui n’ont jamais
été liées à moi. Dans son livre « Mémoires Vives », Edward Snowden
insiste sur cet aspect multi-identitaire fondamental à sa vocation.
Aaron Swart a également utilisé ces outils pour contribuer à définir la
norme RSS en cachant qu’il était encore adolescent.
Cet apprentissage, ces libertés et ces explorations de ses propres
identités sont malheureusement complètement perdus dans la vocation des
réseaux sociaux centralisateurs qui imposent une et une seule identité.
La seule chose que les jeunes peuvent faire désormais, c’est de créer un
compte sous un faux nom "réaliste", ce qui les incite à se faire passer
pour un camarade et, de ce fait, à se porter préjudice l’un à l’autre,
au grand dam des établissements scolaires et des parents qui doivent
prendre des mesures énergiques pour dire que « Ça ne se fait pas
d’usurper l’identité d’un autre ».
Non, ça ne se fait pas. Mais ça se fait de s’inventer des identités. De
se créer des univers différents, qui interagissent dans des communautés
différentes.
Et nous avons revendu cette liberté contre la possibilité d’être fliqué
par la publicité avec l’obligation d’avoir notre vrai nom partout parce
que « c’était plus facile ».
Bloat JavaScript
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Et même sur le côté « plus facile », nous nous sommes fait avoir par le
côté « boîte noire sans cesse changeante ».
Niki, blogueur sur tonsky.me, s’est amusé à calculer la quantité de
JavaScript que chargent les sites principaux… par défaut ! Sur le
« minimaliste » Medium, c’est 3Mo. Sur LinkedIn, c’est 31Mo.
JavaScript Bloat in 2024 (tonsky.me)
https://tonsky.me/blog/js-bloat/
Pour rappel, il y a zéro JavaScript sur ploum.net. En fait, pour un
rendu relativement similaire (du texte aligné au milieu d’un écran),
vous devriez télécharger 1000 fois plus de données pour lire un de mes
billets sur Medium et 10.000 fois plus de données pour lire un de mes
billets sur LinkedIn.
En plus du temps de téléchargement, le processeur de votre appareil
serait mis à rude épreuve pendant quelques dixièmes de secondes voire
des secondes tout court, augmentant la consommation d’électricité (de
manière significative) et vous donnant une légère impression de lenteur
ou de difficulté lors de l’affichage. Si vous avez un appareil un peu
ancien ou une connexion un peu mauvaise, ces difficultés sont
multipliées exponentiellement.
Ah oui. En plus de tout, sur Medium et LinkedIn, vous êtes complètement
pistés et les données de votre lecture vont grossir les milliers de
bases de données marketing.
Il y a même des chances que, pour lire l’article sur Medium ou LinkedIn,
vous utilisiez le mode « lecture » de votre navigateur ou d’un logiciel
quelconque. Mode qui après avoir tout téléchargé et tout calculé va
tenter d’extraire le contenu de l’article pour l’afficher dans un style
similaire à ploum.net.
Tous ces allers et retours alors qu’il est tellement simple, en temps
que webmaster, d’offrir le texte directement, sans fioriture. De
simplifier la vie de tout le monde…
Gaspillage et sécurité
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Ces systèmes sont donc plus lourds, plus énergivores, beaucoup plus
compliqués à produire. Pourquoi les produit-on ?
Keynote Touraine Tech 2023 : Pourquoi ? (ploum.net)
https://ploum.net/2023-03-30-tnt23-pourquoi.html
Mais ce n’est pas tout ! Leur complexité augmente la surface d’attaque
potentielle et donc le nombre de failles de sécurité. Une joie pour les
script-kiddies. Sauf que plus besoin des script-kiddies, les
intelligences artificielles peuvent désormais automatiquement exploiter
les failles de sécurité.
Schneier on Security (www.schneier.com)
https://www.schneier.com/blog/archives/2024/02/ais-hacking-websites.html/
On va donc avoir, d’une part, des sites de spam/SEO générés
automatiquement et, d’autre part, des sites légitimes qui se sont fait
pirater et sur lesquels a été injecté du contenu spam/SEO.
Voilà, voilà, ne me dites pas que je ne vous avais pas prévenu.
Splitting the Web (ploum.net)
https://ploum.net/2023-08-01-splitting-the-web.html
Écologie
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Le plus difficile, dans tout cela, c’est certainement la pression
sociale. Si on aime vivre en ermite comme moi, c’est simple de refuser
Whatsapp, Google. Mais lorsqu’on est ado, on se fout de ces principes.
On veut faire partie du groupe. Avoir un iPhone. Être sur Tiktok. Jouer
au dernier jeu à la mode en parlant du dernier Youtubeur sponsorisé par
une marque d’alcool ou de tabac. Porter des fringues de marque produit
par des enfants dans des caves en Thaïlande.
Pour l’adolescence, les préceptes moraux et les interdictions sont là
pour être contournés (et c’est une bonne chose). Tout ce que nous
pouvons offrir, c’est l’éducation. La compréhension des enjeux et des
conséquences des actes posés dans leur univers de vie.
Bref, dans l’informatique comme dans tout autre domaine, nous devons
enseigner l’écologie.
Mais encore faut-il que nous la comprenions nous-mêmes.
Nous vivons dans un monde où l’eau de pluie est désormais contaminée par
des polluants dangereux… partout sur la planète ! Il n’existe plus une
goutte d’eau de pluie qui soit considérée comme potable.
Rainwater unsafe to drink due to chemicals: study (phys.org)
https://phys.org/news/2022-08-rainwater-unsafe-due-chemicals.html
Alors, peut-être que nous devons accepter n’avoir pas de leçons
écologiques à donner à nos enfants…
LECTURES : UTOPIES, ÉCOLOGIE, PIRATES ET META-BULLSHIT
by Ploum on 2024-02-23
https://ploum.net/2024-02-23-culture-ecologie-pirates-metabullshit.html
Les conséquences de l’utopie
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Je suis tombé sur plusieurs analyses du cycle de la Culture, de Iain M.
Banks, une série de livres de SF que j’aime beaucoup et dont Elon Musk
et Jeff Bezos disent s’inspirer.
The Culture War: Iain M. Banks's Billionaire Fans (bloodknife.com)
https://bloodknife.com/culture-war-iain-m-banks-jeff-bezos/
Science-fiction utopique, le cycle de la Culture est une véritable
réflexion sur la notion même d’utopie. À ne pas confondre avec la SF
pseudo-utopique (et, pour moi, profondément ennuyeuse) de type Becky
Chambers où le monde a été détruit, l’humanité décimée, mais comme tout
le monde boit du thé avec de l’eau recyclée chauffée par des panneaux
solaires, alors tout va bien et on balaie d’un revers de la main tout
questionnement sur les millions de morts du passé.
Tout le contraire des romans « Feel Good », La Culture décrit, avec une
approche parfois ardue, une société post-scarcité où chaque humain (ou
intelligence artificielle) peut poursuivre sa voie personnelle à sa
guise et où toutes les tentatives d’obtenir un pouvoir quelconque sont
réprimées gentiment (et n’ont de toute façon aucun sens vu que tout le
monde peut obtenir tout ce qu’il veut). Vu comme ça, difficile de voir
en quoi cela peut inspirer des milliardaires capitalistes.
Deux théories possibles : la première est qu’ils se soient arrêtés à
l’aspect prépubère des vaisseaux spatiaux super-cool qui franchissent
l’espace en faisant piou-piou. La seconde, c’est qu’ils se voient eux-
mêmes comme des dieux dont tous les désirs sont satisfaits, nonobstant
complètement leur propre impact sur les autres. Dans tous les cas, ils
ont complètement raté le sous-titre d’un auteur qui est, de son propre
aveu, profondément socialiste et anti-capitaliste.
'Better to Create Your Own': On the Legacy and Utopianism of Iain M.
Banks’s Culture Series (www.thebottleimp.org.uk)
https://www.thebottleimp.org.uk/2023/11/better-to-create-your-own-on-the-le…
Un des sujets principaux de la Culture, c’est le sens de la vie d’une
humanité qui n’a plus aucune contrainte matérielle. Avec cette superbe
analogie : non, l’invention de l’hélicoptère n’a pas tué l’alpinisme. Si
le but était de se tenir au sommet d’une montagne, il n’y aurait plus
d’alpinistes. Mais l’objectif n’est pas de se tenir quelques secondes au
sommet. Il est de grimper. De tracer son chemin.
Et nous sommes prêts à suivre les aventures de ceux qui grimpent. Nous
nous foutons complètement de la vie de quelqu’un qui prend
l’hélicoptère. Il en va de même pour l’art : l’art n’a rien à redouter
de l’intelligence artificielle, car l’art, par essence, est un processus
de création. Un chemin. Il y a quatre ans, je décrivais le processus
créatif comme un lien entre humains.
Les écrivains bientôt remplacés par un algorithme ? (ploum.net)
https://ploum.net/les-ecrivains-bientot-remplaces-par-un-algorithme/index.h…
L’art-gorithme…
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Je définis personnellement l’art comme ce qu’un humain ne peut pas ne
pas faire. Un écrivain n’est pas quelqu’un qui écrit. C’est quelqu’un
qui ne peut pas ne pas écrire. Un musicien ne peut pas ne pas faire de
la musique. Un programmeur ne peut pas ne pas programmer.
C’est toute la différence entre l’art et le travail. C’est aussi la
raison pour laquelle certains grands artistes s’éteignent en devenant
professionnels. Car l’art devient alors une obligation plutôt qu’une
pulsion.
Nous sommes d’accord, les algorithmes menacent les rentrées financières,
souvent précaires, des artistes. Mais c’est parce que les artistes ne
vivent, dans une immense majorité, pas de leur art. Ils vivotent en
prostituant leurs capacités techniques et leur talent pour faire du
marketing, des logos, du webdesign et des images à coller sur les
emballages. Affamés par une société ultra-consumériste, ils survivent en
en devenant l’esclave.
Avec l’AI, la société consumériste ne menace pas les artistes. Elle a
juste rajouté une corde à son arc pour négocier les salaires de ses
esclaves à la baisse. Comme dit Cory Doctorow : « Les AI ne sont pas
capables de vous remplacer à votre travail. Mais les producteurs d’AI
sont capables de convaincre votre patron qu’elles le sont. ».
De mon côté, j’aime rappeler qu’on n’est pas encore capable de faire une
putain de toilette qui se nettoie toute seule de manière efficace, qu’on
doit tous, tous les jours, racler notre merde (ou, payer quelqu’un pour
le faire à notre place), mais que, ne vous inquiétez pas, on dépense des
milliards pour automatiser le travail des artistes… Le sens des
priorités est clair.
Personnellement, je pense que la première manière de soutenir les
artistes, c’est de le découvrir et de les faire connaître autour de
vous, d’en parler comme des humain·e·s en train d’escalader des
montagnes plutôt que d’aduler la photo où ils sont au sommet. Le partage
inclut bien entendu le piratage (oui, piratez mes livres ! Prêtez-les !
Donnez-les !). Si vous voulez aller plus loin, voyez avec l’artiste en
question la meilleure manière de le soutenir et celle qui vous convient
le mieux. Personnellement, j’aime que mon éditeur et que les libraires
indépendants soient également soutenus, du coup je vous encourage à
acheter mes livres sur arbres morts dans des petites librairies. Mais
pour d’autres, cela peut être un don, un crowdfunding… Enfin, faites ce
que vous voulez !
Piratage et médias
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En parlant de piratage justement, mon attention a été attirée sur
l’étagère de livres « à donner » de la bibliothèque publique de ma
ville. Mon bibliothécaire m’a expliqué qu’ils avaient une obligation
formelle d’avoir plus de 50% de livres de moins de 10 ans dans leur
stock. Régulièrement, la bibliothèque se débarrasse donc de livres qui
ont dépassé l’âge fatidique. Dans ce cas-ci, le livre qui a retenu mon
attention s’intitule « Capitaine Paul Watson : Entretien avec un
pirate », de Lamya Essemlali. Comme mon épouse venait de m’offrir un
pull Sea Sheperd, j’avais justement le personnage en tête je me suis
approprié le livre.
Absolument non littéraire, le livre n’est qu’une grande interview du co-
fondateur de Greenpeace et puis de Sea Shepperd. Ce qui est fascinant,
c’est de découvrir un personnage « no bullshit » comme j’en voudrais
plus.
Le personnage de Paul Watson n’est pas vraiment sympathique. Mais il
s’en fout.
> Notre objectif n’est pas de protester contre la chasse à la baleine,
il est de l’arrêter.
> – Entretien avec un pirate, p. 77
Tout au long du livre, il assène qu’il est stupide de tenter de lutter
pour la préservation des emplois et contre la pauvreté si cela se fait
au détriment de la planète. Parce que si l’écosystème est détruit, on
sera bien avec nos emplois et nos richesses. On sera tous pauvres. Ou
morts. L’écologie est le combat de base de tout militant. Elle vient
avant le social. Il pousse la cohérence jusqu’à interdire la cigarette à
bord de toute la flotte Sea Sheperd. Les repas sont également végans.
Il tire à boulets rouges sur Greenpeace qui est devenue une association
qui a pour but de récolter les dons. Il prétend que Greenpeace gagne
désormais plus d’argent avec la chasse à la baleine que l’industrie
baleinière elle-même. Tout en ne faisant aucune action : les démarcheurs
Greenpeace vont jusqu’à utiliser les images des campagnes… Sea Sheperd.
Greenpeace fait du marketing et, comme toute industrie du marketing,
tire son profit de ne pas résoudre le problème. Le problème est
l’essence du business, il faut le préserver, voire l’amplifier (en
prétendant développer des solutions). Paul Watson va plus loin dans sa
critique du marketing : rien ne sert de convaincre les gens de ne pas
tuer de baleine vu qu’ils ne l’auraient de toute façon pas fait. Il faut
agir directement sur les baleiniers. Le parallèle avec l’industrie
informatique est laissé en exercice au lecteur.
Les gens qui agissent sont, par essence, décriés dans les médias.
> Tout ce que l’on fait et ce que l’on pense est défini et contrôlé par
les médias. Ce sont eux qui définissent notre réalité. Et c’est la
raison pour laquelle nous nous trouvons sur une voie rapide au bout de
laquelle nous attend une récompense darwinienne collective :
l’extinction de notre espèce.
> — Entretien avec un pirate, p. 158
Avec cynisme, Paul Watson invite donc des célébrités qui n’ont rien à
voir avec la cause afin d’asséner, durant la conférence de presse, que
s’il avait invité un spécialiste du domaine au lieu d’un acteur de
cinéma, les médias ne seraient pas là.
Paul Watson est également placé sur la liste rouge d’Interpol. Il est
considéré comme un « écoterroriste ». Ce qui est fascinant, c’est qu’il
respecte parfaitement les lois et n’a jamais été condamné ni arrêté pour
quoi que ce soit, malgré ses tentatives en se rendant de lui-même dans
les commissariats. Sea Shepperd ne fait qu’ennuyer voir éperonner des
navires qui pratiquent des activités complètement illégales. Et donc,
personne ne porte plainte parce que les navires éperonnés n’avaient rien
à faire là en premier lieu !
Il va plus loin en se demandant qui sont réellement les
« écoterroristes » alors que personne n’a jamais été tué ni même blessé
dans une action Sea Sheperd.
> Les gens nous accusent de jeter des bombes puantes sur les baleiniers
japonais. Oui, on fait ça, c’est vrai. […] Ceci dit, j’ai du mal à
imaginer Oussama Ben Laden en train de jeter une bombe puante sur un bus
de touristes.
> — Entretien avec un pirate, p. 169
La médiatisation et la corruption de la rébellion
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Dans « Mémoires vive », Edward Snowden raconte son incroyable histoire
et un point m’a frappé : travaillant à l’intérieur même du service de
renseignement, Snowden sait exactement ce qui va lui arriver. Il sait
comment on va l’attaquer. Il prédit même comment il va être
décrédibilisé dans les médias. Le même phénomène est à l’œuvre avec Paul
Watson. Face aux rebelles, le capilo-consumérisme passe par trois lignes
de défense:
Premièrement, en rendant la vie aussi difficile au rebelle en rendant
ses ressources rares, en l’épuisant, en le décourageant voire en le
harcelant. C’est normal, c’est le jeu.
En second lieu, si le rebelle persiste, en l’achetant, en le rémunérant
pour sa complicité. Ce que nous faisons tous en travaillant pour payer
notre shopping afin de nous changer les idées après une dure semaine de
boulot… pour payer le shopping.
Mais les véritables rebelles charismatiques, les artistes, sont achetés
bien plus chers. Ils deviennent des stars. Ils sont célébrés par le
système, ils sont riches. Ils n’ont plus envie de se rebeller et
utilisent leur image de rebelle pour exhorter leur audience à se
conformer. Leur situation leur fait perdre toute crédibilité et
légitimité dans la rébellion. Comme les vieux et riches musiciens qui
luttent de toutes leur force contre le piratage. Ou les groupes punk
postant sur Facebook et Instagram. Riches, on se contentera de faire des
dons à des associations adoubées par le système et servant à relancer la
carrière médiatique de chanteurs has been et de stars de télé-réalité
autrement oubliées.
Facebook, au fait, n’est qu’une gigantesque machine à corrompre à
moindre coût les rebelles. On étouffe la rébellion en échange… de likes
et de followers ! Toute association écologiste présente sur Facebook
est, en soit complètement corrompue, car, de par sa seule présence sur
la plateforme, elle justifie et promeut le consumérisme et un monde
soumis à la publicité. Facebook, c’est la « Planète à gogos » virtuelle
(en référence au chef-d’œuvre de Pohl et Kornbluth). Même plus besoin de
payer les rebelles, ils viennent gratuitement pour quelques likes.
Quoi ? Ce sont eux qui paient pour mettre en avant leur site web et
obtenir encore plus de followers ?
Comment Facebook gagne de l’argent (ploum.net)
https://ploum.net/comment-facebook-gagne-de-largent/index.html
Je suis sûr qu’on va me dire que Sea Shepperd a malheureusement une page
Facebook. J’en suis triste. La convergence des luttes n’a pas encore
percolé à ce niveau-là…
Mais il reste les rebelles incorruptibles, inaliénables. De type Watson
ou Snowden. Face à eux, on utilise la troisième ligne de défense. Les
médias, littéralement financés par la publicité, vont alors mener une
destruction en règle de l’image publique. Il va s’agir de construire de
toutes pièces et de manière consciente un personnage détestable. Un
mauvais digne d’un film afin de décrédibiliser ses actions.
C’est tellement puissant qu’il est parfois intéressant de prendre un peu
de recul et de réaliser ce qu’on reproche vraiment à la personne. À
Julian Assange, on reproche littéralement… d’avoir fait un travail de
journaliste. Essayez d’imaginer « Les hommes du président », mais où
Dustin Hoffman et Robert Redford seraient les méchants qui veulent faire
tomber le bon président qui surveille ses opposants politiques pour le
bien de son peuple. Et bien voilà, on est en plein dedans. Et à Paul
Watson, on reproche… d’empêcher des massacres illégaux de faune marine !
> Imagine que tu te rendes dans la ville de La Mecque, que tu marches
jusqu’au centre vers la pierre noire et que tu craches dessus. Eh bien,
tes chances de sortir de là en vie sont pour ainsi dire très minces et
peu de gens éprouveront une quelconque sympathie à ton égard, car tu
auras commis un blasphème […] et les gens comprendraient la violence qui
te serait faite en réponse.
> […]
> Si les forêts tropicales, si les océans et toute la vie qu’ils
contiennent avaient autant de valeur, s’ils étaient aussi sacrés à nos
yeux qu’une vieille pierre, […] nous taillerons en pièce ces bûcherons
et ces chaluts pour leurs actions. Nous ne le faisons pas, car nous
sommes totalement aliénés du monde naturel.
> — Entretien avec un pirate, p. 143
L’impact de l’homme sur le climat
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Étant fanatique d’apnée, je vois chaque année les dégâts que l’humanité
inflige aux océans. Se retrouver dans une mer magnifique, au large, pour
se rendre compte que ce que je prenais pour des reflets à la surface
sont des billes de polystyrène qui couvrent l’océan. Ou réaliser que,
dès que mes palmes me portent en dehors d’une minuscule zone « réserve
naturelle », la végétation laisse place au sable à perte de vue et que
les poissons sont plus rares que les sacs plastiques et les bouteilles
vides.
Nous sommes huit milliards. C’est un chiffre inimaginable. Si vous
rencontriez une personne sur la planète toutes les secondes, il vous
faudrait… 350 ans pour voir tous les humains. Huit milliards de
personnes qui tentent de se faire consommer le plus possible les uns les
autres. La consommation étant définie comme l’extraction d’une ressource
naturelle pour la transformer en déchet (la consommation proprement dite
se faisant au milieu). Nous sommes huit milliards à transformer la
planète en déchet, en récompensant comme nos maîtres absolus ceux qui le
font le plus efficacement et le plus rapidement possible.
Notre impact est énorme, inimaginable. Et l’était déjà il y a des
siècles.
La colonisation des Amériques par les Européens entraina, en un siècle,
la mort de près de 90% des indigènes. Que ce soit par des massacres
directs ou via les épidémies, certaines ayant été propagées à dessein,
par exemple en distribuant des couvertures ayant servi à recouvrir des
malades de la variole.
European colonization of Americas killed so many it cooled Earth's
climate (www.theguardian.com)
https://www.theguardian.com/environment/2019/jan/31/european-colonization-o…
On estime que les Européens ont causé 56 millions de morts entre
Christophe Colomb et l’année 1600. Un mort chaque minute pendant plus
d’un siècle ! C’est un nombre tellement important que d’immenses
étendues de champs se sont soudainement retrouvées en friche, que la
végétation a explosé capturant beaucoup de carbone présent dans
l’atmosphère et contribuant au « petit âge de glace » de cette époque.
Le massacre serait, à lui seul, responsable pour une diminution de
0,15°C du climat mondial, avec un effet bien plus prononcé en Europe.
Conclusion et meta-bullshit
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J’aime bien tenter de trouver une sorte de conclusion commune à ces
réflexions en vrac (qui ne deviendront pas quotidienne, je vous rassure.
C’est juste que j’avais du retard dans mes notes). Ici, il y en a une
qui me frappe : c’est l’importance, la prépondérance des médias
entièrement financés par la publicité sur ce qui fait notre culture et
notre perception de la réalité.
Nous vivons dans une société où le bullshit, le mensonge sont l’état de
base. Nous sommes tellement accros que l’on discute de la moralité
d’installer un bloqueur de publicité sur notre navigateur alors que
l’acte même de se rendre sur un site publicitaire devrait être vu comme
l’équivalent climatique de la consultation d’un site pornographique : on
devrait avoir honte de le consulter et encore plus d’y travailler.
Mais nous revenons toujours, pour nous tenir « informés ». Aaron Swartz,
je t’en supplie, reviens !
I Hate the News (Aaron Swartz's Raw Thought) (www.aaronsw.com)
http://www.aaronsw.com/weblog/hatethenews
L’intelligence artificielle est la cerise sur le gâteau. Le bullshit ne
sert plus à nous vendre de la merde, mais il se produit tout seul pour
vendre de générateurs de bullshit !
Ça y’est, nous sommes entrés dans l’ère du meta-bullshit
META-BLOGGING, LECTURES SUR GEMINI ET CONQUÊTE SPATIALE
by Ploum on 2024-02-22
https://ploum.net/2024-02-22-metablogging-lectures-gemini-spatial.html
Meta-blogging
=============
Pluralistic, le blog de Cory Doctorow, fête ses quatre ans.
Pluralistic: Pluralistic is four; The Bezzle excerpt (Part III) (20 Feb
2024) (pluralistic.net)
https://pluralistic.net/2024/02/20/fore/
Cory est une énorme source d’inspiration pour moi. Il poste presque tous
les jours, appliquant une méthode qu’il intitule Memex. Je le lis depuis
son tout premier billet, je me demande comment il tient un tel rythme.
Et je crois avoir percé une partie de son secret : son blog n’est qu’un
ensemble de notes qu’il prend durant la journée et qu’il poste le soir
ou le lendemain. Je me suis pris à penser à toute cette énergie
d’écriture que je passe à répondre à de longs mails, à poster sur des
forums, à poster et à lire sur Mastodon, à mettre dans mes notes
personnelles. Et si je m’inspirais encore plus de sa méthode ?
Avec la croissance du lectorat de ploum.net, je me suis inconsciemment
imposé une forme de perfectionnisme dans l’écriture de mes billets. Je
rejette beaucoup de brouillons qui ne sont pas satisfaisants, je relis,
je corrige parfois pendant des jours, des semaines ou des mois jusqu’au
moment où le billet n’est de toute façon plus pertinent. J’ai énormément
perdu en spontanéité. J’ai également peur de vous « spammer ».
Parfois, je me laisse aller à poster un billet spontané. Je le poste en
me forçant à ne pas trop réfléchir. Et ça me fait plaisir. J’avais
également tenté de faire des billets « en vrac » inspiré par Tristan
Nitot. Deux exemples au hasard :
Lectures 1 (ploum.net)
https://ploum.net/lectures-1/index.html
Lectures 6: Épanadiplose sur la peur, la sécurité et la résistance
(ploum.net)
https://ploum.net/lectures-6-epanadiplose-sur-la-peur-la-securite-et-la-res…
Quand j’y repense, ces billets m’ont vraiment été utiles. Je m’y suis
référé plusieurs fois pour trouver des liens, pour revenir à des
réflexions que j’avais.
On me demande très souvent des conseils pour se mettre à bloguer. Le
plus important que je donne est toujours de bloguer pour soi. De ne pas
réfléchir à ce qu’on pense qui pourrait plaire à son audience, mais de
publier. De publier ce qu’on a soi-même dans les tripes.
J’ai suffisamment d’expérience avec le buzz pour savoir que le succès à
court terme d’un billet de blog est très difficilement prévisible. Et
même lorsque le billet fait un buzz incroyable, cela n’est généralement
pas perceptible si l’on n’a pas de statistiques et si on n’est pas sur
les réseaux sociaux. Être le sujet d’un buzz procure une décharge de
dopamine et puis… c’est tout ! C’est addictif, mais souvent plus nocif
qu’autre chose, car on se surprend à en vouloir toujours plus, à guetter
les votes sur Hackernews, à s’énerver sur les commentaires de ceux qui
ne sont pas d’accord avec vous.
L’impact à long terme d’un billet est, lui, encore moins prévisible. Il
est également très personnel : je me surprends à relire certains de mes
billets, à y refaire référence, à m’en servir comme point d’ancrage pour
certaines idées quand bien même tout le monde semble s’en foutre.
Je dis bien « semble s’en foutre » parce qu’on ne peut jamais savoir.
Sous la masse d’internautes qui postent sur les réseaux sociaux, sur les
forums et qui commentent, il y a dix fois plus de personnes qui lisent
en silence, qui partagent en privé.
« Ploum, je suis heureux de te rencontrer. Ton billet X a changé ma
vie ! » m’a un jour dit un·e lecteurice en faisant référence à un billet
publié cinq ans plus tôt et pour lequel je n’avais eu aucun retour.
« J’ai imprimé ton billet Y pour le faire lire à mon père. Nous avons
passé la soirée à en discuter » m’a dit un·e autre.
Je conseille à tous les apprentis blogueurs de lâcher prise, de publier
ce qu’ils ont dans la tête. Mais pourquoi ne pourrais-je pas appliquer
mes propres principes ?
Car c’est difficile de lâcher prise, de ne pas apparaître comme ayant
toujours une prose bien construite, bien arrêtée. C’est dur de montrer
ses doutes, de faire des raccourcis de raisonnement dont on aura honte
après les premiers retours, de reconnaitre ses erreurs.
Et du coup, sans transition…
Quelques liens de ma journée
============================
Une courte tranche de vie d’un parent dont l’enfant a un diabète de type
1. Tellement courte que l’on dirait un pit-stop en formule 1.
Pit Stop (arcticfire.sytes.net)
gemini://arcticfire.sytes.net/posts/pit_stop.gmi
Oui, c’est un lien Gemini. Gemini est un réseau où l’absence de
métriques telles que les statistiques ou les likes rend l’écriture
beaucoup plus personnelle, beaucoup moins calibrée. Je me retrouve à
lire des tranches de vie, des réflexions qui n’ont aucune prétention et
c’est très inspirant. À l’inverse, j’ai vu plusieurs personnes
abandonner ce réseau parce qu’elles n’avaient pas de likes ni de
statistiques et avaient l’impression de publier dans le vide. Le fait
que je les lisais se plaindre prouvait qu’elles ne parlaient pas dans le
vide. Mais ce qui est effrayant, c’est de se rendre compte qu’un simple
chiffre articifiel sous un cœur ou sur un tableau Google Analytics nous
fait croire que, ouf, là je n’écris pas dans le vide.
J’ai justement eu un échange à ce sujet avec un lecteur qui me pointait
vers le concept du Web Revival:
Intro to the Web Revival #1: What is the Web Revival?
(thoughts.melonking.net)
https://thoughts.melonking.net/guides/introduction-to-the-web-revival-1-wha…
Je tiens à préciser que je suis assez contre le terme « revival ». Il
tend à idéaliser un passé qui n’a jamais existé. Le Web a très vite été
envahi de publicité, de popups. Mais, évidemment, je soutiens l’idée
d’un web minimaliste. Mon correspondant m’apprend que le site Melonking
se targue de faire 38 millions de vues par mois (je n’ai pas la source).
Or, c’est exactement là tout le problème du Web : comment le webmaster
compte-t-il ces 38 millions de vues ? Pourquoi les compte-t-il ?
Pourquoi s’en vante-t-il ? Et pourquoi cela impressionne-t-il tellement
les lecteurices ?
J’ai désactivé toutes les statistiques possibles sur mon blog. Les seuls
chiffres que je ne peux pas cacher son mon nombre de followers sur
Mastodon (qui est public) et le nombre d’abonnés à mes mailing-listes
(sauf si vous vous abonnez à la version text-only sur Sourcehut, là je
n’ai aucune visibilité). Idéalement, j’aimerais n’avoir accès à aucune
de ces statistiques. Et c’est peut-être pour cela que j’apprécie
tellement Gemini.
Gemini, le protocole du slow web (ploum.net)
gemini://ploum.net/gemini-le-protocole-du-slow-web/index.gmi
Mais, rassurez-vous, le contenu est identique que sur la version Web de
mon blog. Vous ne ratez donc rien en ne venant pas sur Gemini. Pour ceux
que ça intéresse, le protocole Gemini est très simple et doit son nom au
programme spatial Gemini. Le port utilisé, 1965, est d’ailleurs une
référence explicite à l’année du premier vol Gemini habité de Virgil
Grissom et John Young. Pour entériner la simplicité du protocole Gemini,
Solderpunk, son créateur, vient d’annoncer son intention de clôturer
définitivement le travail sur la spécification au plus tard le 18 mars
2027, mais, si tout va bien, le 8 mai 2025. Oui, ces jours ont une
signification spéciale en lien avec la conquête spatiale.
2024-02-21 - Introducing "Apollo days", some rough scheduling
(geminiprotocol.net)
gemini://geminiprotocol.net/news/2024_02_21.gmi
La conquête spatiale
====================
La sonde Voyager 1 est en train de rendre l’âme.
Death, Lonely Death (crookedtimber.org)
https://crookedtimber.org/2024/02/19/death-lonely-death/
Le fait qu’elle ait fonctionné jusqu’ici est proprement hallucinant.
Adolescent, j’avais dévoré le livre de Pierre Kohler racontant son
épopée. Aujourd’hui, lorsqu’une sonde est envoyée dans l’espace, une
réplique exacte, au bit et au boulon prêt, est gardée dans un
laboratoire pour déboguer tout problème et tester toute solution. L’ESA
avait notamment dû reprogrammer en urgence la sonde Cassini alors
qu’elle s’approchait de Saturne, car ils s’étaient rendu compte que
l’effet Doppler n’avait pas été correctement pris en compte dans les
calculs initiaux du récepteur.
Mon dieu, c’est plein d’étoiles ! (ploum.net)
https://ploum.net/35-mon-dieu-cest-plein-detoiles/index.html
Mais, à l’époque de Voyager 1, personne n’avait encore pensé à cette
technique. Cela signifie qu’il n’existe pas de copie de la sonde Voyager
et que le code informatique embarqué a complètement disparu. La sonde
est en train de boguer, mais personne ne sait exactement quel code ni
même quel système d’exploitation tourne. Ce qui rend le débogage
particulièrement difficile, surtout lorsque le ping est de 48h. Il y a
donc, dans l’espace intersidéral, hors de la zone d’attraction du
soleil, un ordinateur qui tourne avec un système d’exploitation qui
n’existe pas sur terre.
Conclusion
==========
Je n’avais pas prévu de poster de billet de blog aujourd’hui. Mais
regardez où m’amène la méthode de Cory Doctorow. Contrairement à lui, je
ne compte pas faire cela tous les jours. Mais j’espère bien me permettre
de poster sans arrière-pensée. Je vais également (encore) moins répondre
à vos emails (que je lis toujours avec autant de plaisir). Plutôt que de
réponses individuelles, parfois très longues, je vais m’inspirer de vos
réflexions pour créer des billets publics.
En espérant que vous comprendrez que ces billets sont des réflexions
mouvantes, parfois imprécises ou erronées. Comme l’ont d’ailleurs
toujours été tous mes billets de blog. C’est juste que j’essayais de me
convaincre (et vous convaincre) du contraire.
MON BIBLIOTAPHE
by Ploum on 2024-02-19
https://ploum.net/2024-02-19-mon-bibliotaphe.html
Les quelques milliers de livres qui composent notre bibliothèque
familiale se mélangent, se transportent, se déplacent et s’étalent,
colonisant les chambres, le salon, la salle à la manger, la toilette.
Mais ils gardent un semblant d’ordre, une ébauche de discipline
obéissant à une logique que je dois être le seul à comprendre : les
bandes dessinées vont plus ou moins par genre, les rayonnages de fiction
suivent l’ordre alphabétique des auteurs, etc.
Il n’en reste pas moins une grosse centaine d’ouvrages qui s’entasse
dans les rayonnages de mon bureau et forme ma liste de lecture vivante,
un bibliotaphe dont tout ordre est absolument proscrit.
> Malheureux ! Un bibliotaphe, cela ne se classe pas ! Ranger les
livres, c’est empêcher les idées de communiquer entre elles. En outre,
cela prive le chercheur de découvertes fortuites !
>
> — Henri Lœvenbruck, Les Disparus de Blackmore, page 278
Le pouvoir magique d’un bibliotaphe est parfois effrayant.
J’étais plongé dans « Lettre Ouverte à cet Autre qui est Moi », nouvelle
clôturant le recueil « Les Cahiers du labyrinthe » que m’a partagé son
auteur, Léo Henry. Dans ce récit qui m’a particulièrement interpellé,
Léo Henry imagine que tout écrivain possède un double et explore jusqu’à
son paroxysme les conséquences d’un tel postulat.
La lecture est comme l’œnologie. Savourer un passage ou une idée
requiert de la tourner et retourner dans son esprit, de l’inspecter, de
la humer. Me levant au milieu de la lecture de la nouvelle pour me
diriger vers mon bureau, mon regard fut attiré par un fin volume qui
dépassait de mon bibliotaphe, exactement à hauteur de mon nez. Le titre
me fit sursauter.
Le Double, de Dostoïevski.
Je m’en saisis et contemplai sa couverture, un peu effrayé par la
coïncidence.
J’hésitai. Je n’avais pas prévu de lire du Dostoïevski. Mais je n’avais
pas le choix. Mon bibliotaphe venait de me donner un ordre implacable,
ma prochaine lecture était toute trouvée.
Obéissant à cette force impérieuse, je me glissai ce soir-là sous la
couette entre les pages du génial auteur de L’idiot.
Désormais, lorsque je passe à côté de la masse chamarrée de mon
bibliotaphe, une forme de crainte m’envahit. Il me toise, semble pouvoir
m’écraser sous sa masse. Je me rappelle alors qu’il est mon double
bienveillant, qu’il est moi, me connait mieux qui quiconque et me
protège. Et qu’il avait, encore une fois, parfaitement raison.
J’aime toujours autant Dostoïevski.
LES PETITS PLAISIRS DU SHOPPING MODERNE
by Ploum on 2024-02-12
https://ploum.net/2024-02-12-plaisirs-shopping-moderne.html
— Bonjour, je peux vous aider ?
Coincée dans sa boutique au plus profond des entrailles du centre
commercial, la vendeuse ne devait pas souvent voir la lumière du jour.
Aux reflets criards de son maquillage, j’eus l’impression que ça ne la
dérangeait pas spécialement.
— Oui, répondis-je en posant la main sur un modèle d’exposition. Je
cherche à m’équiper entièrement.
— Celui-là possède une connexion wifi et 5G ultrarapide. Vous pouvez le
contrôler depuis votre téléphone grâce à notre app dédiée…
— Non, merci, l’interrompis-je avec une petite moue non convaincue.
— Ou alors, on rentre dans le haut de gamme. Ces modèles sont liés au
cloud et possèdent une intelligence artificielle embarquée.
— Bof, laissez tomber !
— Enfin, le top du top, le neck plus ultra. Stockage des données sur
blockchain propriétaire, interaction intégrée avec votre casque de
réalité virtuelle…
— Écoutez, je veux juste acheter un frigo. Juste un frigo !
— Et bien ce sont des frigos. Les meilleurs…
— Non, un frigo qui fait du froid et rien d’autre. Sans aucune
connexion, sans aucune puce électronique.
Interloquée, la vendeuse ouvrit la bouche sans proférer le moindre son.
Pendant quelques secondes, elle me jaugea avant de rompre le silence.
— Vous êtes un collectionneur d’antiquités ?
— Non, je veux un frigo moderne, mais sans puce électronique.
— Mais pourquoi ?
— Parce que je veux un truc qui fait du froid, rien d’autre.
— Ça n’a pas de sens !
Attirée par le bruit de notre discussion, une autre vendeuse s’approcha
avec un sourire dégoulinant d’hypocrisie.
— Laisse Amanda, je m’en occupe. Monsieur est certainement ingénieur en
informatique ou en électronique.
J’acquiesçai silencieusement avec un petit sourire. Elle avait vu
juste !
— Monsieur, je suis au regret de vous annoncer que nous sommes un
showroom de démonstration normal. Nous n’avons en démonstration que ce
qui est disponible à la livraison sur notre site web, pas les produits
de niche. Mais je crois savoir qu’il existe un magasin grand luxe qui
fait ce genre de choses : des équipements sans puce électronique.
Évidemment, ça coûte très cher. Beaucoup trop pour notre clientèle.
Mais peut-être y trouverez-vous votre bonheur ? Attention cependant, il
est impossible de commander en ligne. C’est un truc pour les riches
originaux.
— Merci, lancé en grommelant. Je vais aller voir.
Tournant le dos, j’entendis Amanda demander à sa collègue.
— Mais pourquoi un ingénieur refuserait de…
— Jamais compris. Ces gens-là, ils sont pas comme tout le monde. Si ça
se trouve, il n’a même pas de compte sur…
Leurs voix se perdirent dans le brouhaha du centre commercial.
M’enfuyant le plus rapidement possible, je franchis l’épais sas d’air
conditionné et me retrouvai face aux automobiles qui, à perte de vue,
rechargaient leurs batteries sous une pluie grisâtre. Je n’étais pas
prêt de l’avoir mon frigo. Sans compter que, étant nouveau dans le pays,
j’avais également besoin d’un micro-ondes, d’un lave-linge, d’une brosse
à dents électrique et d’une cafetière… Ça n’allait pas être de tout
repos.
Quant à la voiture, je n’osais même pas y penser. Tout compte fait,
c’était peut-être le moment de se mettre sérieusement au vélo…
— Ding ! Mise à jour du firrmware de votre batterie en cours.
Vérification de l’état de votre abonnement.
Argh ! Même les vélos !
DE LA BRIÈVETÉ DE LA VIE ET DE LA PÉRENNITÉ D’UN BLOG
by Ploum on 2024-01-18
https://ploum.net/2024-01-18-perennite-dun-blog.html
Cette année 2024 m’est particulièrement symbolique. En octobre, je
fêterai les 20 ans de ce blog et ne serai plus très loin du million de
mots publiés. Vingt ans qui ont fait de ce blog un élément central et
constitutif de mon identité. Si je rêve d’être reconnu comme écrivain
voire développeur ou scientifique, je resterai toujours avant tout un
blogueur. Blogueur est d’ailleurs le premier qualificatif accolé à mon
patronyme dans les médias ou sur Wikipédia.
Ironiquement, l’année de ces 20 ans de blog a commencé avec la plus
longue indisponibilité que ce site ait jamais connue. Durant plusieurs
jours, ploum.net a été complètement retiré du réseau. En cause, une
attaque massive contre Sourcehut, mon hébergeur, forçant ce dernier à
migrer en catastrophe vers une nouvelle infrastructure.
Informations à propos de l’attaque contre Sourcehut
https://outage.sr.ht/
Si j’ai vécu la mise hors-ligne de mon blog comme une amputation, une
perte d’une partie de mon identité, je sais fort bien que cela ne me
porte aucun préjudice durable, que je ne perds aucune donnée. Ce genre
d’incidents font partie de la vie et je tiens à remercier l’équipe de
Sourcehut pour la transparence totale et le travail accompli ces
derniers jours.
Cet événement m’a également fait prendre conscience à quel point l’œuvre
de toute une vie pouvait disparaitre rapidement, dans l’indifférence la
plus générale. Si j’espère que mes livres sur arbres morts continueront
toujours à tomber aléatoirement d’une étagère ou être découverts chez
des bouquinistes, mes écrits en ligne, eux, sont d’éphémères bouteilles
à la mer susceptibles de couler dans les abysses de l’oubli au moindre
incident.
Cette question m’obsède depuis que je suis papa : comment faire en sorte
que mes écrits en ligne me survivent ?
Nom de domaine et indépendance
==============================
J’espère que mon blog sera encore consultable le jour inévitable où
Facebook, Medium et Youtube auront été relégués avec Myspace et Skyblog
dans l’armoire des souvenirs historiques du web. Et quand je vois Alias
fêter les 15 ans de son blog, je pense ne pas être le seul. Les blogs
sont les archives à long terme du web:
Quinze ans de blogage (erdorin.org)
https://erdorin.org/quinze-ans-de-blogage/
Concrètement, je fuis toutes les plateformes propriétaires et je lie
tous mes écrits à mon propre nom de domaine : ploum.net. En fait, pour
être sûr, je dispose même de trois noms, sur trois premiers niveaux
différents: ploum.net, ploum.be, ploum.eu.
À court terme, cela peut être un mauvais calcul: les pages Facebook de
mes amis décédés sont encore en ligne alors que les domaines expirent
rapidement. Je dois donc préparer la transmission de ces domaines pour
assurer qu’ils puissent me survivre.
Simplicité et minimalisme
=========================
Outre le nom de domaine, la première cause de mise hors ligne d’un site
est généralement le manque de maintenance. Un Wordpress piraté, car une
mise à jour n’a pas été faite. Une base de données incompatible avec une
nouvelle version du CMS. Même les générateurs de sites statiques doivent
être mis à jour, avec leur dépendance, et sont parfois abandonnés par
les développeurs.
Pour résoudre ce problème, mon blog est depuis décembre 2022 autogénéré
et ne produit que du HTML très simple, compatible avec la plupart des
navigateurs passés, présents, futurs et sans ambiguïté. Chaque page est
complètement indépendante et contient ses propres instructions CSS (42
lignes). Vous pouvez sauver un article de mon blog depuis votre
navigateur et le réouvrir n’importe où, même sans connexion. Pas de
JavaScript, pas de framework, pas de chargement dynamique, pas de fonte,
pas d’appel extérieur. Ça parait extraordinaire de nos jours, mais c’est
tellement simple à gérer que je me demande encore pourquoi on se casse
la tête à apprendre et maintenir des couches de framework. Penser la
pérennité peut avoir des bénéfices immédiats !
Autre point: je prends le plus grand soin à ce que les URLs de mes posts
ne changent pas. Un lien vers un article devrait rester valide aussi
longtemps que le nom de domaine existera.
La dernière version de Ploum.nethttps://ploum.net/2022-12-04-fin-du-blog-et-derniere-version.html
Sources disponibles et distribuées
==================================
Les sources de mon blog sont écrites au format Gemtext, le format
utilisé sur le réseau Gemini. La particularité de ce format est qu’il
s’agit essentiellement de texte pur. Aussi longtemps que nous aurons des
ordinateurs, ces fichiers pourront être lus.
Mes billets ainsi que le générateur Python pour créer les pages HTML
sont disponibles via Git, un outil décentralisé bien connu de tous les
développeurs et certainement appelé à exister pour les décennies qui
viennent.
La commande
> git clone https://git.sr.ht/~lioploum/ploum.net
vous donne accès à toutes les sources de mon blog, que vous pouvez
générer avec un simple "python publish.py". Cela ne nécessite aucune
dépendance particulière autre que Python3.
Mais que faire si sourcehut est indisponible ? Je me rends compte qu’il
est nécessaire que je pousse mes sources sur plusieurs miroirs.
Miroirs ?
=========
Parlons de miroirs justement. Une copie de mon site, version web et
gemini, est disponible sur rawtext.club.
Ploum.net sur Rawtext.club (http)
https://rawtext.club/~ploum/Ploum.net sur rawtext.club (gemini)
gemini://rawtext.club/~ploum/
Mais ce miroir est « accidentel ». Rawtext.club est un petit serveur
géré par un passionné que je remercie chaleureusement. C’est grâce à lui
que j’ai pu explorer l’univers Gemini. Je ne peux lui imposer un
hébergement sérieux ni compter sur sa pérennité.
Sebsauvage me fait également l’immense honneur de maintenir une copie de
mes publications, pour le cas où je serais forcé de retirer du contenu:
Ploum sur streisand.me
https://sebsauvage.net/streisand.me/ploum/
Pour le futur, je réalise aujourd’hui qu’il serait pertinent que je
trouve un hébergeur autre que Sourcehut, pouvant être synchronisé par
Git et offrant également un hébergement Gemini. Je pourrais rediriger
ploum.be ou ploum.eu vers ce serveur de secours.
Les mailing-lists
=================
Si j’avoue préférer le RSS pour mon usage personnel, force est de
constater que les mailing-listes offrent un avantage : vous gardez une
copie de tous les anciens billets dans votre boîte mail. Chaque nouvel
abonné est donc, sans le savoir, un nouvel archiviste de mes écrits.
Mailing-list en français
https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/fr.listes.ploum.net/
Mailing-list en anglais
https://listes.ploum.net/mailman3/postorius/lists/en.listes.ploum.net/
J’envoie d’ailleurs une version "text-only" (pas de HTML) sur une
seconde mailing-list dont les archives sont publiques. Défaut majeur :
contrairement aux mailing-listes précitées, ces archives text-only sont
hébergées par… Sourcehut, le même hébergeur que mon blog !
Mailing-list text-only en français
https://lists.sr.ht/~lioploum/fr
Mailing-list text-only en anglais
https://lists.sr.ht/~lioploum/en
Le futur
========
Le protocole Internet (IP) a été conçu à une époque où on pensait que le
stockage serait toujours très coûteux, mais que la bande passante serait
essentiellement gratuite. Le principe d’IP est donc de transmettre aussi
vite que possible les paquets de données et de tout oublier
instantanément.
En conséquence, les protocoles s’appuyant sur IP, comme Gemini et HTTPS,
sont particulièrement fragiles. La perte d’un seul serveur peut
signifier la disparition définitive de sites entiers.
De nouveaux protocoles ou de nouveaux usages sont nécessaires pour
transformer Internet depuis le simple "échange de données temps réels"
en "archive planétaire". Cet usage d’archive planétaire va bien entendu
à l’encontre des intérêts financiers actuels qui souhaitent que vous
payiez, directement ou à travers la pub, à chaque fois que vous
consultez le même contenu. Le « copyright », comme son nom l’indique,
cherche à empêcher toute copie ! Mais, petit à petit, des solutions
apparaissent, qu’elles soient nouvelles comme IPFS ou qu’il s’agissent
de réflexion sur une utilisation de technologies préexistantes.
Présentation de IPFS sur Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/InterPlanetary_File_System
Low budget P2P content distribution with git (solderpunk)
gemini://zaibatsu.circumlunar.space/~solderpunk/gemlog/low-budget-p2p-content-distribution-with-git.gmi
Tout cela est encore expérimental, mais je garde un œil et réfléchis à
rendre ploum.net disponible sur IPFS.
Le présent
==========
La pérennité des contenus en ligne est une quête complexe et longue
haleine. Je vous invite à y penser pour vos propres créations. Que
voulez-vous qu’il reste de vous en ligne dans quelques années ?
Paradoxalement, nous laissons trop de traces involontaires (des données
personnelles, des commentaires écrits sous le coup de la colère, des
critiques de produits sur Amazon) et nous perdons trop facilement ces
œuvres auxquelles nous accordons de l’importance (combien de vidéos
personnelles disparaitront avec la fin inéluctable de Youtube ?). J’ai
moi-même le regret d’avoir perdu beaucoup de textes rédigés et publiés
un peu partout avant l’existence de ce blog ou cédant aux sirènes de la
mode, postés sur Google+, Facebook ou Medium.
J’en ai retenu une leçon majeure : on ne sait a priori pas quels
contenus seront importants pour notre futur moi. Il est également
primordial de dater les contenus. Avec l’année. Je ne compte plus les
fiches de notes que j’ai retrouvées, mais que je peux ne raccrocher à
rien, ne sachant même pas estimer à quelle année voire à quel lustre le
texte se rapporte. Cette leçon est également ce qui motive ma tentative
de pérennisation de mes écrits : je n’ai pas l’impression de n’avoir
jamais écrit quelque chose qui mérite une préservation éternelle. Mais
un historien du futur pourrait peut-être un jour trouver dans les écrits
de ce blogueur obscur et oublié une information cruciale, glissée par
hasard dans un billet et lui permettant de comprendre certains paradoxes
de notre époque.
Pour cette mission, la technologie qui semble la plus robuste, la plus
résistante pour traverser les siècles voire les millénaires reste le
livre. Livres que ma famille collectionne et accumule dans tous les
coins de notre logis. Des milliers d’auteurs, vivants ou morts,
mondialement connus ou obscurs, qui continuent chaque jour à nous
parler !
Si vous souhaitez m’aider dans ma quête de pérennité, je vous invite à
acquérir, prêter, offrir ou abandonner sur un banc mes livres.
Car lorsque les ordinateurs seront éteints, seuls continueront à nous
bercer, à nous parler les mots gravés sur le papier, ces éphémères
imaginaires survivants à la prétention d’immortalité des corps
décomposés.
LE BATEAU DE BOIS DE CHAUFFAGE
by Ploum on 2023-12-13
https://ploum.net/2023-12-13-le-bateau-de-bois-de-chauffage.html
Il était une fois un groupe d’humains perdus au milieu d’un gigantesque
océan. Aussi loin que remontait la mémoire, le gigantesque bateau de
bois avait toujours navigué, aucune terre n’ayant jamais été trouvée ni
même aperçue.
Le temps n’était jamais glacial, mais jamais trop chaud non plus.
Souvent, un petit vent frisquet parcourait les cabines. Pour se
réchauffer, les passagers de première classe avaient engagé ceux de
troisième classe, les chargeant de découper le bois de la coque afin de
le brûler dans leurs énormes poëles. Comme les cabines étaient bien plus
confortables chauffées, l’idée vint aux premières classes de revendre
aux passagers de seconde classe l’excédent du bois.
Le marché était juteux. Une partie de la tuyauterie du navire fut
reconvertie en poële à bois vendus à très bon prix afin d’équiper les
cabines des secondes.
Naturellement, le bateau prenait désormais l’eau de partout. Un original
aux cheveux en bataille émit l’idée d’arrêter de découper la coque si
l’on ne voulait pas couler.
— Et mes profits ? dirent les premières.
— Et mon chauffage ? dirent les secondes.
— Et mon boulot ? dirent les troisièmes.
— Ben je ne sais pas trop. On pourrait mettre des pulls ?
– Ahaha, ricanèrent les premières. Un original qui ne connait rien au
brûlage du bois et voudrait nous faire la leçon avec un pull !
Un instant désarçonné, l’original s’entêta.
— N’empêche que là, on coule. Les troisièmes classes seront bientôt sous
eau.
— Tu as raison, déclara le capitaine. C’est une problématique
importante. J’organise immédiatement une réunion dans le salon des
premières classes. Nous envisagerons une solution.
Lorsqu’il redescendit quelques heures plus tard, le ventre bombé de
petits-fours, le capitaine se fit interpeller par l’original qui s’était
vu refuser l’accès au pont des premières.
— Alors capitaine ? Qu’allons-nous faire pour éviter que le bateau
coule ?
— La réunion fut très productive. Nous allons construire désormais des
poëles plus performants pour équiper les cabines qui n’en ont pas encore
et pourront dès lors se chauffer avec moins de bois. D’ailleurs, nous
envisageons de réduire graduellement la vitesse avec laquelle nous
débitons le bois de la coque. Cela ne va pas plaire aux troisièmes, qui
auront moins de travail, ni aux secondes, car le bois sera plus cher
afin de compenser la perte de profit, mais il faut ce qu’il faut pour
sauver le navire.
— Capitaine, vous êtes sûr que cela sera suffisant pour éviter de
couler ?
— Ne t’inquiète pas, sourit malicieusement le capitaine. On a également
demandé aux deuxièmes classes d’imaginer des pompes pour extraire l’eau
du navire. Il y en a bien un qui va nous inventer ça, non ?
— Mais le temps presse…
— Et puis, qui sait… Si ça se trouve, on va bientôt découvrir un rivage,
aborder une terre. Pourquoi s’en faire ?
— Pourquoi, en effet, murmura piteusement l’original en retirant ses
chaussettes pour les essorer alors que l’eau commençait à monter dans
les coursives.
Photo d’illustration par Patrick Hendry
https://unsplash.com/fr/photos/deux-hommes-assis-sur-un-bateau-brun-mrm0PbF…
SF EN VF, LE COFFRET POUR DÉCOUVRIR LA SCIENCE-FICTION EUROPÉENNE
by Ploum on 2023-12-12
https://ploum.net/2023-12-12-sf-en-vf.html
« C’est l’histoire d’un écrivain belge, un écrivain suisse et un
écrivain français qui vont en boîte. »
Bon, vu comme ça, ça ressemble à une blague. Mais attendez, ce n’est que
le début ! Parce que les trois écrivains ont commis chacun un livre de
science-fiction francophone et que si on assemble tous les titres de ces
livres, on a, en tout et pour tout, un seul mot de français : le mot
« projet ».
Excellente blague, non ?
L’histoire en question, c’est celle d’une boîte, ou plutôt un coffret
intitulé « SF en VF » contenant trois romans de science-fiction
francophone. Une idée parfaite de cadeau pour offrir ou se faire offrir
si l’on souhaite découvrir ou faire découvrir la science-fiction
européenne.
Trois livres, trois visions de la science-fiction.
Tout d’abord avec Ploum, le Belge qui pense qu’il faut un titre à
consonance anglophone pour faire de la SF, mais ne peut s’empêcher de le
franciser : « Printeurs ». Un roman dystopique et cyberpunk sur la face
cachée du capitalisme de surveillance : publicités envahissantes, vie
privée réduite à néant, attentats sponsorisés, chômeurs hypnotisés par
les stars du petit écran tandis qu’en coulisses, les esclaves se tuent à
la tâche pour produire les biens de consommation jetables.
On enchaîne ensuite avec le Suisse, Pascal Lovis et son « Projet
Idaho ». Le seul titre en français. L’histoire d’un homme en vacances
qui se réveille après une cuite magistrale et constate qu’il n’a plus de
connexion au réseau. Plus de contacts. Plus d’amis. Et littéralement
plus de chambre d’hôtel. Mais, très vite, l’histoire va prendre un
tournant inattendu et vous entrainer dans un space opera endiablé. Le
second tome, « Mémoires Spectrales », est disponible et clôt le cycle.
Il explique également la raison du nom « Idaho » (car moi, je n’avais
pas compris la référence à Dune).
Pour terminer en beauté, l’incontournable Thierry Crouzet et le premier
tome de son projet démentiel : « One Minute ». Parce que ça pète plus en
anglais. Pas de héros. Pas de trame narrative traditionnelle. Ici, le
lecteur est invité à vivre et à revivre la même minute de l’histoire de
la planète. Celle où l’humanité a soudainement compris, de Paris à
Bangkok et de New York à Ouagadougou, qu’elle n’était plus seule.
Qu’elle était en contact avec une intelligence extra-terrestre.
Trois livres. Trois pays. Trois accents. Trois histoires. Trois futurs.
Bref, un triple cadeau dans un superbe coffret argenté, à commander chez
votre libraire ou, si ce n’est pas possible, directement sur le site de
l’éditeur. Mais soutenez votre librairie favorite, elle en a bien
besoin !
Commandez « SF en VF » chez PVH Éditions
https://pvh-editions.com/shop/collection-ludomire/268-selection-ludomire-sf…
Le coffret « SF en VF » et les trois livres qui le composent
https://ploum.net/files/sfenvf.jpg
Notez que Pascal Lovis, le grand mage mauve, fait également partie du
coffret régional « Fantasy Suisse » avec Aequilegia Nox et Stéphane
Paccaud. De la magie et de la fantasy qui sent bon la raclette.
Commandez « Fantasy Suisse » chez PVH Éditions
https://pvh-editions.com/shop/collection-ludomire/265-selection-ludomire-fa…
POURQUOI SOMMES-NOUS TELLEMENT ACCROS À GOOGLE MAPS ET WAZE ?
by Ploum on 2023-11-03
https://ploum.net/2023-11-03-logiciels-de-navigation.html
S’il y’a bien un logiciel propriétaire difficile à lâcher, c’est Google
Maps. Ou Waze, qui appartient également à Google. Pourquoi est-ce si
compliqué de produire un logiciel de navigation libre ? Ayant passé
quelques années dans cette industrie, je vais vous expliquer les
différents composants d’un logiciel de navigation.
Les briques de base d’un logiciel de navigation sont la position, les
données, le mapmatching, le routing, la recherche et les données temps
réel. Pour chaque composant, je propose une explication et une analyse
des solutions libres.
La position
===========
Le premier composant est un système de positionnement qui va fournir une
coordonnée géographique avec, parfois, un degré de précision. Une
longitude et une latitude, tout simplement.
Il existe plusieurs manières d’estimer une position. Le plus connu est
le GPS qui capte des ondes émises par les satellites du même nom.
Contrairement à une idée tenace, votre téléphone n’émet rien lorsqu’il
utilise le GPS, il se contente d’écouter les signaux GPS tout comme une
radio FM écoute les ondes déjà présentes. Votre téléphone n’a de toute
façon pas la puissance d’émettre jusqu’à un satellite. Les satellites
GPS sont, au plus près, à 20.000 km de vous. Vous croyez que votre
téléphone puisse envoyer un signal à 20.000 km ?
Pour simplifier à outrance, le principe d’un satellite GPS est d’émettre
en permanence un signal avec l’heure qu’il est à son bord. Votre
téléphone, en captant ce signal, compare cette heure avec sa propre
horloge interne. Le décalage entre les deux permet de mesurer la
distance entre le téléphone et le satellite, sachant que l’onde se
déplace à la vitesse de la lumière, une onde radio n’étant que de la
lumière dans un spectre invisible à l’œil humain. En refaisant cette
opération pour trois satellites dont la position est connue, le
téléphone peut, par triangulation, connaître sa position exacte.
Fait intéressant: ce calcul n’est possible qu’en connaissant la position
des satellites GPS. Ces positions étant changeantes et difficilement
prévisibles à long terme, elles sont envoyées par les satellites eux-
mêmes, en plus de l’heure. On parle des « éphémérides ». Cependant,
attendre l’envoi des éphémérides complètes peut prendre plusieurs
minutes, le signal GPS ne pouvant envoyer que très peu de données.
C’est la raison pour laquelle un GPS éteint depuis longtemps mettra un
long moment avant d’afficher sa position. Un GPS éteint depuis quelques
heures seulement pourra réutiliser les éphémérides précédentes. Et pour
votre smartphone, c’est encore plus facile : il profite de sa connexion
4G ou Wifi pour télécharger les éphémérides sur Internet et vous offrir
un positionnement (un « fix ») quasi instantané.
Le système GPS appartient à l’armée américaine. Le concurrent russe
s’appelle GLONASS et la version civile européenne Galileo. La plupart
des appareils récents supportent les trois réseaux, mais ce n’est pas
universel.
Même sans satellite, votre smartphone vous positionnera assez facilement
en utilisant les bornes wifi et les appareils Bluetooth à proximité. De
quelle manière ? C’est très simple : les appareils Google et Apple
envoient, en permanence, à leur propriétaires respectifs (les deux
entreprises susnommées) votre position GPS ainsi que la liste des wifi,
appareils Bluetooth et NFC dans le voisinage. Le simple fait d’avoir cet
engin nous transforme un espion au service de ces entreprises. En fait,
de nombreux engins espionnent en permanence notre position pour revendre
ces données.
Exemple d’un moniteur de batterie de voiture Bluetooth qui collecte les
données de position à l’insu de son propriétaire.
https://doubleagent.net/2023/05/21/a-car-battery-monitor-tracking-your-loca…
Si on coupe le GPS d’un appareil Android Google, celui-ci se contentera
d’envoyer une requête à Google sous la forme : « Dis, je ne connais pas
ma position, mais je capte le wifi grandmaman64 et superpotes89 ainsi
qu’une télé Samsung compatible Bluetooth, t’aurais pas une idée d’où je
suis ? ». Réponse : « Ben justement, j’ai trois utilisateurs qui sont
passés hier près de ces wifis et de cette télé, ils étaient dans la rue
Machinchose. Donc tu es probablement dans la rue Machinchose. » Apple
fait exactement pareil.
Quelle que soit la solution utilisée, GPS ou autre, la position d’un
smartphone est fournie par le système d’exploitation et ne pose donc
aucun problème au développeur d’application. C’est complètement
transparent, mais l’obtention d’une position sera parfois légèrement
plus longue sans les services Google ou Apple propriétaires décrits ci-
dessus.
Les datas (données cartographiques)
===================================
Ce n’est pas tout d’avoir une position, encore faut-il savoir à quoi
elle correspond. C’est le rôle des données cartographiques, souvent
appelées "data" dans l’industrie.
Obtenir des données cartographiques est un boulot inimaginable qui,
historiquement, impliquait de faire rouler des voitures sur toutes les
routes d’un pays, croisant les données avec la cartographie officielle
puis mêlant cela aux données satellites. Dans les années 2000, deux
fournisseurs se partageaient un duopole (Navteq, acquis par Nokia en
2007 et TeleAtlas, acquis par Tomtom en 2008). Google Maps utilisait
d’ailleurs souvent des données issues de ces fournisseurs (ainsi que
tous les GPS de l’époque). Dans certaines régions, le logo Navteq était
même visible sur la cartographie Google Maps. Mais plutôt que de payer
une fortune à ces entreprises, Google a décidé de lancer sa propre base
de données, envoyant ses propres voitures sur les routes (et profitant
de l’occasion pour lancer Google Street View).
La toute grande difficulté des data, c’est qu’elles changent tout le
temps. Les sentiers et les chemins se modifient. Des routes sont
ouvertes. D’autres, fermées. Des constructions se font, des quartiers
entiers apparaissent alors qu’une voie se retrouve à sens unique.
Parcourir la campagne à vélo m’a appris que chaque jour peut être
complètement différent. Des itinéraires deviennent soudainement
impraticables pour cause de ronces, de fortes pluies ou de chutes
d’arbres. D’autres apparaissent comme par magie. C’est un peu moins
rapide pour les automobilistes, mais tentez de traverser l’Europe avec
une carte d’une dizaine d’années et vous comprendrez votre douleur.
En parallèle de ces fournisseurs commerciaux est apparu le projet
OpenStreetMap que personne ne voulait prendre au sérieux dans
l’industrie. On m’a plusieurs fois ri au nez lorsque j’ai suggéré que
cette solution était l’avenir. Tout comme Universalis ne prenait pas
Wikipédia au sérieux.
Ma région sur OpenStreetMap
https://ploum.net/files/osm_lln.jpg
Le résultat, nous le connaissons : OpenStreetMap est aujourd’hui la
meilleure base de données cartographiques pour la plupart des cas
d’usage courant. À tel point que les géants comme Waze n’hésitent pas à
les repomper illégalement. Sebsauvage signale le cas d’un contributeur
OSM qui a sciemment inventé un parc de toutes pièces. Ce parc s’est
retrouvé sur Waze…
Sebsauvage: j’ai un problème avec Waze
https://sebsauvage.net/links/?drfIkA
Mais les applications utilisant OpenStreetMap doivent faire face à un
gros défi : soit demander à l’utilisateur de charger les cartes à
l’avance et de les mettre à jour régulièrement, soit de les télécharger
au fur et à mesure, ce qui rend l’utilisation peut pratique (comment
calculer un itinéraire ou trouver une adresse dans une zone dont on n’a
pas la carte ?). Le projet OpenStreetMaps est en effet financé
essentiellement par les dons et ne peut offrir une infrastructure de
serveurs répondant immédiatement à chaque requête, chose que Google peut
confortablement se permettre.
Le mapmatching
==============
Une fois qu’on a la carte et la position, il suffit d’afficher la
position sur la carte, non ? Et bien ce n’est pas aussi simple. Tout
d’abord parce que la planète est loin de correspondre à une surface
plane. Il faut donc considérer la courbure de la terre et le relief.
Mais, surtout, le GPS tout comme les données cartographiques peuvent
avoir plusieurs mètres d’imprécision.
Le mapmatching consiste à tenter de faire coïncider les deux
informations : si un GPS se déplace à 120km/h sur une ligne parallèle
située à quelques mètres de l’autoroute, il est probablement sur
l’autoroute ! Il faut donc corriger la position en fonction des données.
En ville, des hauts bâtiments peuvent parfois refléter le signal GPS et
donc allonger le temps de parcours de celui-ci. Le téléphone croira
alors être plus loin du satellite que ce n’est réellement le cas. Dans
ce genre de situation, le mapmatching vous mettra dans une rue
parallèle. Cela vous est peut-être déjà arrivé et c’est assez
perturbant.
Une autre application du mapmatching, c’est de tenter de prédire la
position future, par exemple dans un tunnel. La position GPS, de par son
fonctionnement, introduit en effet une latence de quelques secondes.
Dans une longue ligne droite, ce n’est pas dramatique. Mais quand il
s’agit de savoir à quel embranchement d’un rond-point tourner, chaque
seconde est importante.
Le logiciel peut alors tenter de prédire, en fonction de votre vitesse,
votre position réelle. Parfois, ça foire. Comme lorsqu’il vous dit que
vous avez déjà dépassé l’embranchement que vous devez prendre alors que
ce n’est pas le cas. Ou qu’il vous dit de tourner dans trente mètres
alors que vous êtes déjà passé.
La recherche
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On a la position sur la carte qui est, le plus souvent, notre point de
départ. Il manque un truc important: le point d’arrivée. Et pour trouver
le point d’arrivée, il faut que l’utilisateur l’indique.
Les recherches géographiques sont très compliquées, car la manière dont
nous écrivons les adresses n’a pas beaucoup de sens : on donne le nom de
la rue avant de donner la ville avant de donner le pays ! Dans les
voitures, la solution a été de forcer les utilisateurs à entrer leurs
adresses à l’envers: pays, ville, rue, numéro. C’est plus logique, mais
nous sommes tellement habitués à l’inverse que c’est contre-intuitif.
Le problème de la recherche dans une base de données est un problème
très complexe. Avec les applications OpenStreetMap, la base de données
est sur votre téléphone et votre recherche est calculée par le minuscule
processeur de ce dernier.
Ici, Google possède un avantage concurrentiel incommensurable. Ce n’est
pas votre téléphone qui fait la recherche, mais bien les gigantesques
serveurs de Google. Tapez "rue Machinchose" et la requête est
immédiatement envoyée à Google (qui en profite pour prendre note dans un
coin, histoire de pouvoir utiliser ces informations pour mieux vous
cibler avec des publicités). Les ordinateurs de Google étant tellement
rapide, ils peuvent même tenter d’être intelligent: il y’a 12 rue
Machinchose dans tout le pays, mais une MachinChause, avec une
orthographe différente, dans un rayon de 10km, on va donc lui proposer
celle-là. Surtout que, tient, nous avons en mémoire qu’il s’est rendu 7
fois dans cette rue au cours des trois dernières années, même sans
utiliser le GPS.
Force est de constater que les applications libres qui font la recherche
sur votre téléphone ne peuvent rivaliser en termes de rapidité et
d’aisance. Pour les utiliser, il faut s’adapter, accepter de refaire la
recherche avec des orthographes différentes et d’attendre les résultats.
Le routing
==========
On a le départ, on a l’arrivée. Maintenant il s’agit de calculer la
route, une opération appelée « routing ». Pour faire du routing, chaque
tronçon de route va se voir attribuer différentes valeurs : longueur,
temps estimé pour le parcourir, mais aussi potentiellement le prix
(routes payantes), la beauté (si on veut proposer un trajet plus
agréable), le type de revêtement, etc.
L’algorithme de routing va donc aligner tous les tronçons de route entre
le départ et l’arrivée, traçant des centaines ou des milliers
d’itinéraires possibles, calculant pour chaque itinéraire la valeur
totale en additionnant les valeurs de chaque tronçon.
Il va ensuite sélectionner l’itinéraire avec la meilleure valeur totale.
Si on veut le plus rapide, c’est le temps total estimé le plus court. Si
on veut la distance, c’est la distance la plus courte, etc.
À mon époque, l’algorithme utilisé était le plus souvent de type
« Bidirectionnal weighted A-star ». Cela signifie qu’on commence à la
fois du départ et de l’arrivée, en explorant jusqu’au moment où les
chemins se rencontrent et en abandonnant les chemins qui sont déjà de
toute façon disqualifiés, car un plus court existe (oui, on peut aller
de Bruxelles à Paris en passant par Amsterdam, mais ce n’est pas le plus
efficace).
Une fois encore, le problème est particulièrement complexe et votre
téléphone va prendre un temps énorme à calculer l’itinéraire. Alors que
les serveurs de Google vont le faire pour vous. Google Maps ne fait donc
aucun calcul sur votre téléphone : l’application se contente de demander
aux serveurs Google de les faire à votre place. Ceux-ci centralisent les
milliers d’itinéraires demandés par les utilisateurs et les réutilisent
parfois sans tout recalculer. Quand on est un monopole, il n’y a pas de
petits profits.
Les données temps réels
=======================
Mais si on veut le trajet le plus rapide en voiture, une évidence saute
aux yeux: il faut éviter les embouteillages. Et les données concernant
les embouteillages sont très difficiles à obtenir en temps réel.
Sauf si vous êtes un monopole qui se permet d’espionner une immense
majorité de la population en temps réel. Il vous suffit alors, pour
chaque tronçon de route, de prendre la vitesse moyenne des téléphones
qui sont actuellement sur ce tronçon.
L’artiste Simon Weckert avait d’ailleurs illustré ce principe en
promenant 99 smartphones connectés sur Google maps dans un chariot. Le
résultat ? Une rue déserte est devenue un embouteillage sur Google Maps.
Simon Weckert créant un embouteillage sur Google Maps en tirant 99
smartphones dans un petit chariot
https://ploum.net/files/weckert4.jpg
La performance Google Maps de Simon Weckert
https://www.simonweckert.com/googlemapshacks.html
Là, force est de constater qu’il est difficile, voire impossible, de
fournir ces données sans espionner massivement toute la population. À ce
petit jeu, les alternatives libres ne pourront donc jamais égaler un
monopole de surveillance comme celui de Google.
Mais tout n’est pas noir, car, contrairement à ce qu’on pourrait croire,
les infos trafic ne nous permettent pas d’aller plus vite. Elles donnent
une illusion d’optimalité qui empire le trafic sur les itinéraires
alternatifs et, au final, le temps perdu reste identique. Le seul
avantage est que la prévision du temps de trajet est grandement
améliorée.
Une expérience du routing sur Organic Maps
https://hardfault.life/p/organic-maps-review
Une étude démontrant que les infotrafics ne font que modifier le
problème sans le résoudre.
https://trid.trb.org/view/1495267
Ce résultat résulte de ce que j’appelle le paradoxe de l’embouteillage.
C’est un fait bien connu des scientifiques et ignoré à dessein des
politiciens que le trafic automobile est contre-intuitif. Au plus la
route est large et permet à de nombreux véhicules de passer, au plus les
embouteillages seront importants et la circulation chaotique. Si votre
politicien propose de rajouter une bande sur le périphérique pour
fluidifier la circulation, changez de politicien !
L’explication de ce phénomène tient au fait que lorsqu’il y’a un
embouteillage sur le périphérique, ce n’est pas le périphérique qui
bouche. C’est qu’il y’a plus de voitures qui rentrent sur le
périphérique que de voitures qui en sortent. Or, les sorties restent et
resteront toujours limitées par la taille des rues dans les villes.
En bref, un embouteillage est causé par le goulot d’étranglement, les
parties les plus étroites qui sont, le plus souvent, les rues et ruelles
des différentes destinations finales. Élargir le périphérique revient à
élargir le large bout d’un entonnoir en espérant qu’il se vide plus
vite. Et, de fait, cela rend les choses encore pires, car cela augmente
le volume total de l’entonnoir, ce qui fait qu’il contient plus d’eau et
mettra donc plus longtemps à se vider.
99 smartphones dans un bac à roulette: c’est tout ce que nous sommes
pour Google
https://ploum.net/files/weckert2.jpg
Les infotrafics et les itinéraires alternatifs proposés par Google Maps
ne font pas autre chose que de rajouter une bande de trafic virtuelle
(sous forme d’un itinéraire alternatif) et donc élargissent le haut de
l’entonnoir. Les infos trafic restent utiles dans les cas particuliers
où votre destination est complètement différente du reste de la
circulation. Où si la congestion apparait brusquement, comme un accident
: dans ce cas, vous pourriez avoir le bénéfice rare, mais enviable
d’emprunter l’itinéraire de secours juste avant sa congestion.
La plupart du temps, les infotrafics sont globalement contre-productifs
par le simple fait que tout le monde les utilise. Elles seraient
parfaites si vous étiez la seule personne à en bénéficier. Mais comme
tout le monde les utilise, vous êtes également obligé de les utiliser.
Tout le monde y perd.
Leur impact premier est surtout psychologique: en jouant avec les
itinéraires alternatifs, vous pouvez vous convaincre que vous n’avez pas
d’autre choix que prendre votre mal en patience. Alors que, sans eux,
vous serez persuadés qu’il y’a forcément une autre solution.
Les logiciels
=============
Alors, se passer de Google Maps ? Comme nous l’avons vu, ce n’est pas
évident. Le service Google Maps/Waze se base sur l’espionnage permanent
et instantané de milliards d’utilisateurs, offrant une précision et une
rapidité insurpassable. Quand on y pense, le coût de ce confort est
particulièrement élevé. Et pourtant, Google Maps n’est pas la panacée.
J’ai personnellement un faible por Organic Maps, que je trouve bien
meilleur que Google Maps pour tout à l’exception du trafic routier : les
itinéraires à pieds, en vélo et même en voiture hors des grands axes
sont bien plus intéressants. Certes, il nécessite de télécharger les
cartes. Inconvénient, selon moi, mineur, car permettant une utilisation
même sans connexion. La recherche est, par contre, souvent frustrante et
lente.
Mais le mieux est peut-être d’explorer les alternatives libres à Google
Maps dans cet excellent article de Louis Derrac.
5 alternatives à Google Maps, par Louis Derrac
https://louisderrac.com/2023/05/5-alternatives-a-google-maps-et-les-autres/
Et puis, pourquoi ne pas lutter contre la privatisation du bien commun
qu’est la cartographie en apprenant à contribuer à OpenStreetMap ?
Se former à OpenStreetMap
https://www.openstreetmap.fr/se-former-a-openstreetmap/
La photo d’illustration est de Al Soot, sur Unsplash
https://unsplash.com/fr/photos/globe-de-bureau-marron-et-bleu-IfYgg7ZLEQw
LA FABRIQUE À SOUVENIRS
by Ploum on 2023-10-30
https://ploum.net/2023-10-30-fabrique-a-souvenirs.html
Extrait de mon journal du 21 octobre 2023.
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Photo prise au bord de la Meuse, début août 2023, d’une affiche pour le
« Festival du folklore » à Namur et Jambes. Sur l’affiche, des
personnes, toutes habillées de différents costumes traditionnels, se
regroupent pour prendre un selfie.
https://ploum.net/files/festival_folklore.jpg
Les photos étaient une manière de garder la trace d’un événement. C’en
est désormais devenu l’objectif premier. Plutôt que de nous souvenir de
ce que nous avons vécu, nous créons de toutes pièces des faux souvenirs,
de fausses memorabilia afin de tromper notre futur moi.
Nous souffrons une journée entière à faire la file dans un Disneyland
bondé afin de pouvoir, dans cinq ou dix ans, prétendre que nos sourires
étaient sincères, que notre amusement était réel.
D’ailleurs, cela nous sera confirmé par tous ceux qui ont reçu nos
photos dans les heures, parfois les secondes après la prise de vue. Nos
followers sont les faux témoins que nous achetons, que nous corrompons
afin de nous inventer des souvenirs.